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Apex

(1ère publication de cette chronique : 2022)
Apex

Titre original : Apex

Titre(s) alternatif(s) :Apex Predator

Réalisateur(s) :Edward Drake

Année : 2021

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h34

Genre : Bruceploitation 2.0

Acteurs principaux :Bruce Willis, Neal McDonough, Corey Large

Barracuda
NOTE
2/ 5

Apex : latin, sommet.

Quel titre ironique pour le nadir absolu d'une carrière. Un naufrage trop ridicule pour qu'on le compare au Titanic, au mieux on pense au Costa Concordia. Une descente aux enfers à la fois aussi profonde que les abîmes de la Moria, et aussi épique qu'une excursion à Châtelet-Les Halles.

En ce début d'année 2022, Nanarland a voulu se frotter à l'énigme Bruce Willis. Qu'est-ce qui est donc arrivé à cet acteur populaire, encore en pleine force de l'âge, pour qu'il aille se compromettre depuis 2015-2016 dans des dizaines de films direct-to-video plus pégreleux les uns que les autres ? Comment une star de son calibre, à l'orée de la soixantaine, se retrouve-t-elle aussi brutalement à passer de premiers rôles prestigieux à des apparitions fantômatiques dans un impressionant alignement de daubes – 27 films entre 2018 et 2022, dont seulement 3 sont sortis en salle, 4 si on compte aussi un film de propagande chinois – qui rappelle les années noires de Nicolas Cage, et les années normales de Steven Seagal ? Comment peut-il accepter qu'on utilise, moyennant finances, une reconstitution numérique de son visage (un "deep fake") pour le faire "apparaître" dans des pubs qu'il n'a jamais tournées ?

Le visage du mystère.

Un (gros) début de réponse est apporté par un article extrêmement fouillé sur le sujet, paru dans la revue Vulture et intitulé "The King of the Geezer Teasers". Résumons-le pour nos lecteurs non-anglophones : "The King of the Geezer Teaser" pourrait se traduire par "Le roi des vieux allumeurs". Il traite d'un certain Randall Emmett, producteur ayant développé une recette infaillible pour faire des films à bas budgets mais très rentables. La méthode consiste à engager un acteur âgé mais jouissant encore d'une bonne aura auprès du public comme Robert de Niro, John Travolta ou, justement, Bruce Willis, de loin le plus actif dans le genre.

L'idée est l'évolution assez naturelle du concept des Expendables de Stallone (lui-même un occasionnel des geezer teasers), de RED avec, déjà, Bruce Willis ou encore de Taken avec Liam Neeson : il y a un public pour aller voir une vedette vieillissante botter le cul de sbires et de malandrins plus jeunes qu'elle.

To have been, or to never have been? That is the question...

La star sera payée à prix d'or (pour Bruce Willis le tarif serait d'un million de dollars par jour) pour un ou deux jours de tournage, pas plus, et surtout pour le droit d'utiliser son nom et son image en grand sur la jaquette. On le montrera dans les premières minutes afin de poser le film comme étant bien "un film de Bruce Willis", puis il sera escamoté de l'action d'une façon ou d'une autre (blessé, prisonnier des méchants, guidant le "vrai" héros par radio...) avant de revenir pour le final. Entretemps, on aura à peine quelques modestes scènes de raccords et surtout un recours constant à des doublures filmées de manière à ce qu'on ne voit jamais leur visage, avec autant de subtilité qu'un gorille en rut dans un magasin de peluches.

"Starring Bruce Willis".

Et ça marche. Entendons-nous bien : c'est nul à chier, mais commercialement, ça permet à ces films de se vendre à des distributeurs étranger et de juste assez surnager dans les catalogues pléthoriques des plateformes de VOD et SVOD, qui ont pris le pouvoir avec l'effondrement du marché du DVD.

Se plonger dans cette production, c'est descendre en apnée dans la fange. Dans la nullité cinématographique la plus totale, le non-cinéma, l'abandon de toute ambition artistique ou divertissante. On est ici dans l'Exploitation la plus chimiquement pure : d'un côté on exploite jusqu'à la nausée l'image de Willis, de l'autre on exploite ses fans en leur faisant les poches après les avoir assommés à coups de navets.

On ne les a pas tous vus, ces 27 films, mais tout de même une bonne dizaine pour se faire une idée. Et dans cet océan de boue, Apex surnage par le fait qu'il est le plus scandaleux de tous, mais aussi l'un des rares nanars du lot.

Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?

Les DTV de Bruce Willis, c'est d'abord une grammaire cinématographique à part, répétée inlassablement de film en film. Osera-t-on parler de Cinéma d'Auteur ? Parmi les motifs et les scènes récurrents d'un film à l'autre, et que l'on retrouvera concentrés de la pire façon dans Apex, retenons :

- Les doublures. Vous êtes chauve ? Félicitations, vous prendrez la place de Bruce Willis dans toutes les scènes où on voit son personnage de dos. Un espoir de réhabilitation pour les skinheads repentis et les recalés de Petrol Hahn.

- La caméra à l'épaule par dessus l'épaule. Ils s'agit d'optimiser l'usage des doublures pendant les dialogues, lors des cas très communs où Bruce Willis ne se trouve pas sur le plateau en même temps que les autres acteurs, ou pas assez longtemps. Bruce parle à un personnage dont on ne voit que la moitié du dos et l'arrière de la tête à l'avant-plan, et vice-versa. Dans Apex, ils ne se sont même pas emmerdés avec des doublures : il parle dans le vide et on ajoute des hologrammes en post-production, seul intérêt d'ailleurs d'avoir placé l'action dans le futur.

- Le téléphone hong-kongais. On ressort les vieilles ficelles de l'époque des ninjas deux-en-un : le héros ne parle à Bruce qu'au travers d'un téléphone ou d'une radio, les personnages ne se croisent jamais ou alors le temps d'une scène furtive. Dans 10 Minutes Gone par exemple, si on enlève toutes les doublures visibles, les deux acteurs "principaux" Bruce Willis et Michael Chiklis apparaissent ensemble dans exactement deux plans, totalisant environ trois secondes et demie.

- Le "plan Willis", une nouvelle valeur de plan à enseigner dans les académies de cinéma. Elle consiste à filmer son personnage très exactement entre les genoux et les épaules, où que l'action l'emmène dans l'image, même en pleine cascade. C'est fascinant à voir à l'oeuvre, il y a une vraie maîtrise du cadrage. Et tant pis si dans Apex Bruce et sa doublure n'ont pas été filmés à la même heure de la journée, provoquant de violentes alternances jour-nuit.

- Le père la chaise. Quitte à ne rien faire du film, autant le faire assis. Voilà donc Bruce prisonnier et ligoté à une chaise le temps de quelques scènes, l'occasion de narguer ses ennemis sans même l'ombre de sa gouaille habituelle, et de voir sa doublure crâne se prendre quelques beignes pour l'attendrir. Dans Survive the Game, Bruce s'assoit à la minute 2 et se libère au bout d'une heure dix-huit pour enchaîner aussitôt sur une baston en "plan Willis". Dans Apex la chaise demandait trop d'argent, Bruce se contente de s'asseoir par terre.

- L'appel du pied. Une fois levé, il est temps d'en découdre. Il faut offrir au spectateur sa dose de Bruce Willis badass. La caméra nous montre alors ses chaussures s'approcher furtivement d'un sbire pour lui mettre une balle dans la tête par derrière, de façon à ce qu'on ne voit que ses pieds et ses mains. Des armées entières de sbires trouvent leur trépas de cette façon, éternellement pris par surprise et exécutés froidement par un flingue et une paire de chaussures.

Terminator Grolles.

L'histoire d'Apex est vue et revue cent fois : dans un futur proche, un groupe d'hommes et de femmes richissimes organise des chasses à l'homme sur une île déserte. Bruce Willis est Thomas Malone, dit "Le Mutilateur". Ex-forces spéciales, ex-flic, ex-criminel, ex-taulard, ex-tout sauf ex-cellent. Il sera leur prochaine proie.

Ce qui fait basculer le film dans le nanar, c'est la façon dont toutes les ficelles déjà grossières exposées plus haut sont poussées dans leurs derniers retranchements. Car Apex commet une erreur de débutant : il donne à Bruce Willis le premier rôle. Techniquement Neal McDonough est crédité avant lui au générique, mais dans le scénario d'Apex c'est bien Thomas Malone le principal protagoniste. Bruce n'ayant pas passé plus de temps que d'habitude sur le plateau de tournage (pour ne rien arranger, la production aurait souffert de problèmes avec les protocoles Covid), sa relative absence est impossible à cacher. En conséquence, disons-le tout net : ce film est un scandale. Un scandale.

Nous sommes scandalisés.

Puisqu'on ne peut pas montrer Bruce Willis se battre, ni faire des cascades, ni même courir, on va juste le filmer marcher dans les bois. Pendant les trois quarts du film, Thomas Malone marche dans les bois. Pas inquiet, pas pressé. Parfois c'est Bruce Willis, parfois ce n'est même pas lui (guettez tous les moments où une branche cache sa tête). De temps en temps il s'assoit aussi, le temps de fumer un cigare ramassé par terre ou de manger des mûres au LSD. On s'emmerderait si on n'était pas aussi stupéfait par le culot.

Voilà, ça fera un million de dollars. En vous remerciant !

Et les chasseurs pendant ce temps-là qu'est-ce qu'ils font ? Ils s'entretuent tandis que Neal McDonough fait des grimaces. C'est l'incroyable twist de Apex qui permet de faire un film de chasse à l'homme où la proie et les chasseurs ne sont jamais au même endroit en même temps : Malone/Willis ne branle rien, il se contente de laisser ses ennemis mourir touts seuls. La séquence est immuable et répétée pour chaque chasseur jusqu'au dernier :

- Deux chasseurs se croisent et commencent à discuter. Pendant 10 minutes ils se racontent leur vie, on n'en a rien à foutre, on s'emmerde.

- Pour un prétexte absurde ils commencent alors à s'engueuler. Généralement à ce moment-là, la doublure crâne de Bruce Willis arrive en loucedé et les observe depuis un fourré.

- L'un sort son flingue et tue l'autre. La doublure blouson de Bruce Willis s'éloigne alors d'un petit pas guilleret.

Bruce Willis, dans à côté d'un combat sans merci.

N'allez surtout pas croire qu'on caricature et que Malone mènerait une guerre psychologique contre ses adversaires en les montant les uns contre les autres. Non, il se contente juste d'être là à les regarder faire, l'air aussi peu impliqué que le spectateur. Le film est un deux-en-un digne des pires margoulineries ninjas. Bruce Willis apparaît avec son visage visible en même temps que celui d'un autre acteur pendant très exactement 7 secondes. On a compté, c'était facile, il n'y a que 4 plans. Tout le reste du temps, soit il tape le bout de gras avec des hologrammes, soit ce n'est pas lui.


Deux des fameux quatre plans où Bruce Willis partage l'écran avec un autre acteur.

La seule scène où il interagit avec un autre personnage nous vaut même une authentique réplique nanarde :
"- T'es bon..."
"- Gamin je suis plus que bon... Je suis le bacon et les oeufs du dimanche matin !"


Le rythme et la nanardise s'emballent brutalement dans les dernières minutes lorsque Neal McDonough, seul survivant, appelle en renfort "les bâtards", c'est-à-dire apparemment des chasseurs supplémentaires (?). Pendant tout l'affrontement c'est chasseurs contre chaussures, et quand même les tennis de Bruce Willis en ont plein les baskets d'être exploitées ainsi et se mettent en grève, le réalisateur en mode balek terminal fait sniper les derniers bâtards depuis le hors-champ. C'est là que se place l'apogée nanarde du film : cette scène où Bruce Willis (de jour) fait face à un sbire (de nuit), l'heure de la journée changeant 4 fois en autant de secondes.

Silencieuses et mortelles...

A quoi pense-t-on en sortant de ce visionnage, a fortiori quand il suit celui d'une demi-douzaine d'autres daubes du même acabit ? La réflexion qui nous vient, c'est que nous assistons à la lente et embarrassante agonie d'une époque, celle du "star system".

Bruce Willis a quitté Hollywood, mais y avait-il encore une place pour lui là-bas, sauf à aller jouer dans un Marvel ou un Star Wars comme tout le monde ? Autrefois on construisait un blockbuster autour d'une star ; maintenant on le fait autour d'une franchise, d'une marque. S'il bossait encore pour les grands studios, il en serait au bas mot à Die Hard 8 ou 9. Pensons à d'autres vedettes de la même stature comme Tom Cruise ou Dwayne Johnson, qui ont été obligés pour continuer à mener leur barque de s'attacher à des grandes marques, Mission Impossible pour l'un, Jumanji ou Fast & Furious pour l'autre. Au fond, en faisant ces films, Bruce Willis est peut-être aujourd'hui la dernière vraie star hollywoodienne, le pilier autour duquel se monte le projet dans son intégralité, celui sans qui le film n'existe pas alors même que tous les autres participants à la production jusqu'au réalisateur sont totalement interchangeables.

Les jaloux diront : "Photoshop !". Les autres aussi.

Pour conclure, revenons à la question qui a suscité cette chronique en premier lieu : Pourquoi ? Pourquoi faire ces films ?

Bruce Willis lui-même ne s'est jamais exprimé sur le sujet de ce triste tournant dans sa carrière, ni aucun agent ou porte-parole parlant en son nom. Quand on plonge dans la presse people et ses rumeurs, on en ressort avec deux hypothèses.

Hypothèse 1 : Le fric. Bruce Willis a un train de vie dispendieux. Stallone l'avait publiquement incendié pour sa cupidité, qui ne lui permettait pas de boucler le budget de Expendables 3 où Bruce Willis fut finalement remplacé par Harrison Ford. Il est réputé capricieux et caractériel sur les tournages, son tarif à la journée est prohibitif et le résultat c'est que pas grand monde ne se bouscule pour tourner avec lui. De surcroît il déteste viscéralement faire la promo de ses films, et ça tombe bien, ici on ne le lui demande pas. Quant à son image, sa légende est déjà faite et de toutes façons Bruce Willis est fâché depuis longtemps avec la critique, qui l'a souvent ereinté, et avec son public, qui ne l'a pas toujours soutenu quand il s'est impliqué dans des projets un peu plus risqués, alors qu'est-ce que ça peut lui foutre ? Prends l'oseille et tire-toi.

Hypothèse 2 : La maladie. Depuis quelques années bruissent des rumeurs comme quoi Bruce Willis souffrirait d'une maladie dégénérative, type démence ou alzheimer. Il aurait vendu sa maison de New York pour s'installer à Los Angeles avec sa famille. En bossant 10 jours par an sur ces films, il gagne autant qu'avec un blockbuster qui lui demanderait de s'impliquer pendant des semaines, ce dont de toutes façons il ne serait plus capable. C'est le meilleur compromis pour passer du temps avec sa famille tout en gagnant le plus d'argent possible qu'il laissera à ses enfants. La critique et le public peuvent bien se foutre de sa gueule, lui sait ce qui est important.

Nous nous garderons bien de trancher. Tout juste remarquera-t-on que, de notre point de vue de simples spectateurs, Bruce Willis à l'écran a parfois l'apparence et la gestuelle d'un vieillard 10 ou 15 ans plus âgé. Né en 1956, il a 66 ans en 2022 et à peine 60 quand il commence son pivot vers le DTV navrant. En étant attentif, on peut voir qu'il porte aussi souvent une oreillette pour lui souffler ses répliques, qui ne sont pourtant jamais très longues.

[Mise à jour 31 mars 2022 : Rumer Willis, fille ainée de Bruce, a déclaré dans un post Instagram que son père souffrait effectivement d'aphasie et mettait fin à sa carrière]

La fameuse oreillette. Pendant l'essentiel du film, il marche lentement et vient regulièrement s'appuyer contre des arbres pour reprendre son souffle. Impossible de dire si cela vient de l'acteur ou de son personnage, à d'autres moments il a l'air nettement plus en forme.

Quelle que soit la réponse, cette bruceploitation d'un nouveau genre est décidément aussi peu ragoûtante que l'originale, mais tant qu'elle produira des nanars, nous serons là pour la documenter !

66 ans et enfin mon premier film chroniqué sur Nanarland ! Yippee Ki-Yay motherfucker !

- Barracuda -
Moyenne : 2.00 / 5
Barracuda
NOTE
2/ 5
Jack Tillman
NOTE
2/ 5
Rico
NOTE
2/ 5

Cote de rareté - 1/ Courant

Barème de notation

Entre escrocs sans grands scrupules on se comprend. On ne s'étonnera guère que ce soient les spécialistes du fond de catalogue "Mediawan/AB Groupe", au travers de leur filiale "AB Vidéo", qui aient sorti ce film en blu-ray. Une édition tout ce qu'il y a de plus basique, sans le moindre bonus hormis les langues bien évidemment, reprenant l'affiche officielle en en-tête de cette chronique.