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Alien Platoon
(1ère publication de cette chronique : 2008)Titre original : Alien Platoon
Titre(s) alternatif(s) :Aucun
Réalisateur(s) :Norbert Moutier (sous le pseudo de Bert Goldman)
Année : 1992
Nationalité : France
Durée : 1h27
Genre : Les Charlots contre Predator
Acteurs principaux :Jean Rollin, Norbert Moutier, Christophe Lemaire, Michel Finas, Quelou Parente, Frank Ecalard
Il suffit parfois d'un titre pour faire fantasmer les cinéphages dérangés. Alien Platoon. Pour les amateurs d'étrangetés que nous sommes, ce nom sonne déjà comme une invitation. Alors lorsqu'on sait qu'il cache une œuvre de notre Ed Wood national, le génial Norbert Moutier, forcément, on ne peut que se réjouir et espérer que la réalité des images sera conforme à nos attentes.
Tout débute lorsque l'armée décide de créer un super soldat en greffant un attirail cybernétique sur un condamné à mort. En fait, on apprend que le but d'une telle expérience n'est pas tant de créer un redoutable combattant que de trouver un moyen pour ne plus avoir à indemniser les victimes de guerre, et ainsi économiser de l'argent. Et quand on voit l'allure des bureaux, on devine bien l'urgence d'une telle mesure. Bref, à peine la petite démonstration sur les capacités du robot terminée, celui-ci décide de faire un massacre pour mieux filer à l'anglaise, sans doute affligé par la misère qui l'entoure. Pour étouffer l'affaire, une escadrille de choc est donc formée afin de traquer la créature. Mais une fois en forêt, nos héros seront rapidement livrés à eux-mêmes et devront survivre face à un ennemi invisible doué pour les pièges.
Incroyable ! Un sosie de Jean Rollin dans une production US !
Les bidasses se portent bien… du moins, pour l'instant.
Ceci devrait sans nul doute vous rappeler un tout autre film: "Robowar". Ou peut être "Predator", tout dépend de vos références. Mais ne vous attendez pas en une vague copie conforme. Car si le film reprend les grandes lignes du métrage de Bruno Mattei, il va assez vite s'en éloigner pour livrer une trame beaucoup plus originale. Dès lors commence à se poser un sérieux problème d'éthique pour le rédacteur que je suis : la succession de twists renversants qui composent ce bijou se trouvant être l'un des gros points forts du film, ne pas les évoquer tiendrait de la faute professionnelle. Mais pour autant, vous divulguer chacune des subtilités de l'intrigue serait aussi fastidieux que mal venu, le charme de la découverte devant être préservé. Dans ce cas, tel un centriste de la chronique, jouons la carte du compromis en évoquant un seul retournement de situation, à titre d'exemple. Celui-ci interviendra vers la dernière demi-heure, lorsque les survivants du groupe arriveront dans une zone infestée par un virus suite à des expérimentations hasardeuses de l'armée (synonyme de pléonasme dans le nanar). Et soudain, boum badaboum, plus de délinquant robotisé à l'horizon : ce sera carrément une armée de mort-vivants qui viendra en découdre avec nos héros, le tout avec un sens de la transition ayant de quoi laisser pantois le plus blasé des spectateurs. Cela dit, le plus stupéfiant reste que cette intervention de zombies est sans doute le rebondissement le plus crédible du lot, la suite de l'intrigue semblant avoir été écrite par une Agatha Christie sous acide. Aux vues des images, il est même permis de se poser des questions et se demander si Norbert savait ce qu'il faisait ou s'il improvisait au jour le jour. La seconde option se défend, si l'on en juge par la profonde crétinerie de certains dialogues, visiblement improvisés, et faisant de notre guerrier fugitif tantôt un alien, tantôt un robot ou un cyborg, sans aucune cohérence scénaristique.
L'armée de zombies, l'occasion d'apprécier quelques rôles de décomposition.
Evoqué plus haut, le budget vaut aussi qu'on en parle. Certes, le statut quasi-amateur de l'œuvre empêcherait normalement de juger le film de la même façon qu'une production plus fortunée. Ou alors, ça reviendrait à critiquer la moindre zèderie un peu délirante et sans le sous, en ne se souciant guère du côté parfois volontairement comique de la chose. Laissons cela aux snobs. Non, ce qui fait la différence par rapport à des films d'horreur à petit budget, c'est surtout une certaine ambition. Là où d'autres séries Z profiteraient de la liberté artistique que leur accordent leurs faibles moyens pour expérimenter ou faire sciemment n'importe quoi, Moutier semble décider que, budget serré ou pas, il n'en a rien à foutre et tente de soutenir la comparaison avec une production comme "Terminator", le tout avec un sérieux papal. L'entreprise semblait déjà compliquée : elle devient insurmontable quand la naïveté et l'incompétence s'invitent à la fête.
Le trop rare alien. Bien gratiné en images, et c'est encore pire avec le son.
En effet, faire un métrage avec rien est une chose, mais vouloir le faire passer pour une production plus huppée en est une autre. Dès lors, qu'il s'agisse de balancer des bruits d'animaux exotiques en pleine forêt de Fontainebleau ou des stock shots de Las Vegas, Norbert ne recule devant aucun artifice pour faire passer son film pour un pur produit américain, ou tout du moins se déroulant au pays de l'oncle Sam, alors qu'assumer ses travers de petit film français lui permettrait au moins d'obtenir un peu d'indulgence. Ces duperies mises à part, on ne peut qu'être subjugué par une foultitude de détails croustillants trahissant un financement proche du néant, tel un bon vieux minitel faisant office de super ordinateur ou des mitraillettes qui ne tirent aucune balle et ne font aucun trou dans le corps, même à bout portant. Mais c'est surtout une scène de baston dans un bar, hommage évident aux westerns d'antan, qui montrera à la fois tout le talent et la candeur de maître Moutier. Passé la pauvreté des décors et le ridicule des combats, ce qui achèvera l'auditoire viendra en fait des ustensiles employés dans cette bagarre, où les figurants finiront par s'assommer à coup de bouteilles en plastique. Reste enfin l'ambiance sonore, qui laisse tout autant à désirer et fait penser à l'utilisation d'un synthé bontempi par un bambin de trois ans, tout content de pouvoir appuyer sur des boutons sans chercher à composer une mélodie harmonieuse. Si on y ajoute les trois samples qui composent l'intégralité des bruitages, ce capharnaüm auditif s'avère aussi brut de décoffrage que les pires bandes sons du cinéma turc et l'on pourrait voir débarquer Cüneyt Arkin à l'écran pour tabasser tout le monde que ça ne choquerait pas plus que ça. Enfin, il faut reconnaître à Norbert des talents de mise en scène qui confinent au génie lorsque dans un sous-bois, des individus se mettent à discuter face à face et s'avèrent si bien filmés qu'on les croirait dans des métrages différents. Norbert Moutier, ou comment réaliser un "2 en 1" avec un seul film.
L'art délicat du stock-shot.
Un hommage discret à Russ Meyer. Même s'il n'en était plus besoin, Monsieur Moutier nous prouve qu'il a bon goût.
Néanmoins, comme scénario, budget et mise en scène ne suffisaient pas à enterrer le cadavre du bon cinéma, Norbert a fait appel à d'autres fossoyeurs : ses comédiens. Une fois de plus, le réalisateur d'"Opération Las Vegas" a su s'entourer d'une fine équipe afin de mener son projet à mal. Pour être gentil, je dirais que les personnes employées dans ce film sont plutôt à la rue, mais ce serait un trop doux euphémisme et il faut voir de ses yeux comment certains font semblant de mourir pour pleinement réaliser l'ampleur du désastre. Surtout, il est évident que la plupart d'entre eux n'en ont strictement rien à cirer de ce qu'ils tournent et ne sont là que pour donner un coup de main à leur pote Norbert. Alors oui, pour leur défense, on pourra préciser que la plupart d'entre eux n'exerçaient pas le métier de comédien à titre professionnel. Mais alors, comment espérer faire un film aussi sérieusement avec si peu de compétences ? Même pas fichu de tenir un fusil correctement, nos soldats d'élite semblent aussi à l'aise que des steaks tartares au milieu d'un buffet végétarien et il faudrait faire preuve d'une montagne de bonne volonté pour prendre au sérieux cette troupe de bras cassés. Ainsi, si dans le lot on retrouve quelques personnes visiblement plus douées que les autres devant une caméra, les premiers rôles sont tenus par les comédiens les plus limités du groupe, ce qui montre encore une autre facette de Moutier qui sait aussi bien distribuer les rôles que réaliser. Néanmoins, si le casting est composé de parfaits inconnus pour le grand public, dont certains se retrouvent également à d'autres postes de la production comme les effets spéciaux (il n'y a pas de petites économies), les plus érudits retrouveront quelques têtes connues du bis français comme Jean Rollin, réalisateur de métrages érotico-vampiriques, qui comme à son habitude s'avère un comédien assez exécrable, en jouant toutes ses scènes comme dans une parodie de vaudeville. Il y a aussi Quélou Parente, ancienne attachée de presse de Troma France et déjà vue dans "Dinosaur From The Deep", ou bien Christophe Lemaire, cinéphage apprécié ayant notamment collaboré à Starfix et Mad Movies. Assurément, il ne tient pas ici un grand rôle mais permet tout de même de revenir sur un événement de tournage, significatif de la folie créatrice de Moutier. Durant l'une des seules scènes où il intervient, le personnage de monsieur Lemaire reçoit une balle en plein front. Afin d'optimiser son effet, Moutier se serait alors mis en tête d'utiliser un clou pour simuler l'impact. Le caméraman eu beau lui expliquer que l'on ne verrait pas l'ustensile, Moutier n'en démordit pas et Christophe Lemaire reçu ainsi un clou en plein visage trois prises durant, sans que ça serve à quoi que ce soit dans le film.
Quelou Parente la joue profil bas au fond de l'écran.
Des scientifiques qui y croient à fond (dont Christophe Lemaire, tout à droite).
Scoop ! Stuart Smith continue de tourner et a un frère jumeau.
Pour autant, si l'on est point surpris des performances de certains acteurs, la vraie révélation du film se trouve être Michel Finas. Ainsi, alors que la plupart de ses camarades se contentent du minimum vital en y croyant mollement, pour Michel c'est tout le contraire, et n'ayant à la base jamais peur d'en faire trop en beuglant l'intégralité de ses répliques comme un possédé, c'est sans doute le seul, hors Moutier, qui semble prendre le projet au sérieux. Un détail d'autant plus surréaliste qu'on ne croit pas une seconde à son personnage de vieux baroudeur surentraîné, ou alors autant qu'Annie Cordy en bimbo. Dès lors, la moindre de ses apparitions devient un moment de pure extase, où toutes les règles de l'actor studio vacillent sur leurs bases pour offrir une expérience proprement "autre". S'il fallait encore en ajouter, on pourrait dire que son personnage de gueulard paranoïaque passant son temps à humilier tout le monde et à voir le mal partout assure au film quelques répliques de grande classe. Là encore, on pourrait se lancer dans une description minutieuse de chacune de ses interventions tant la prestation offerte permettrait à cette chronique de faire cinq bons paragraphes supplémentaires, mais ce serait une fois de plus vous empêcher de découvrir par vous même ce grand moment de cinéma. Un vrai numéro qui s'impose comme une nouvelle référence au panthéon des interprétations mémorables. Monsieur Finas, si vous nous lisez, sachez que tout les nanarophiles dignes de ce nom vous disent merci.
Michel Finas : une étoile est née.
Sympathique fêlé ou metteur en scène trop ambitieux pour ses moyens, Norbert Moutier est sans doute un peu des deux. De ce fait, si "Alien Platoon" a une nette tendance à laisser ses scènes s'étirer en longueur, au point de subir une traque en forêt parfois plus pénible qu'autre chose, les apparitions régulières de Michel Finas dans ce tronçon ainsi que la repompe sans vergogne de Predator, permettent au spectateur de tenir le choc, d'autant que les talents de metteur en scène de Norbert Moutier garantissent aussi de gentiment se fendre la poire. Soyez donc prévenus, la pilule est parfois dure à avaler mais elle vaut néanmoins que l'on s'accroche, si l'on en juge par cette dernière demi-heure qui à force d'aligner les twists hallucinants, finit par faire oublier certaines fautes de goût et propulser l'ensemble vers les pinacles de la folie pure.
Sans aucun doute, il ne s'agit pas là du meilleur film de son auteur, mais peu importe. Car à défaut d'être aussi transcendant qu'un "Dinosaur From The Deep", il nous permet encore de rêver à tous ces films desquels nous ne savons rien mais dont les simples noms ont, comme lui, fait battre nos cœurs de fans transis. Et cela, ça n'a pas de prix…
Le maître contemple son œuvre et se demande si le monde est prêt…