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Fight of Fury

(1ère publication de cette chronique : 2024)
Fight of Fury

Titre original : Fight of Fury

Titre(s) alternatif(s) :Aucun

Réalisateur(s) :Shuny Bee

Producteur(s) :Shuny Bee

Année : 2020

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h21

Genre : Gurkha raté contre Mafia

Acteurs principaux :Shuny Bee, Kate Zolezzi, Michael Ainis

Techniciens :Shuny Bee

Barracuda
NOTE
4.5/ 5


Selon la formule consacrée, s'aventurer dans l'univers du nanar, c'est "explorer la face cachée du cinéma". C'est particulièrement vrai avec le film qui nous intéresse aujourd'hui. Fight of Fury appartient en effet à un sous-genre aussi obscur que vivace et qui n'existe QUE dans le monde du nanar. Aux confins de "l'égosploitation" et du film d'arts martiaux existe, attention, prenez une grande inspiration, "Le film du prof de karaté de Pétaouchnok, Ohio, qui se prend pour Chuck Norris et Bruce Lee".

Des titans du nanar ont marché sous cette bannière : Miami Connection, Force Noire, Dragon Kickboxers, Furious, Champagne and Bullets… Moins connus, on peut citer aussi Pushed too far, Justice Ninja Style, Night of the Kickfighters, The Instructor ou encore The Match-Stick Flame. Exception faite du panégyrique hispanico-teuton de Christian Anders, le genre est endémique à l’Amérique du Nord.




Les vanity projects d'arts martiaux : un véritable genre en soi.


Dans la droite lignée de ces titres, Fight of Fury vient revendiquer sa place parmi les monuments du genre. En quoi consiste le "film de prof de karaté" (on va abréger la terminologie par convenance) ?

D'abord un décor : une ville de province au charme bucolique, ancrée dans de saines valeurs de travail honnête et de voisinage respectueux, loin de la corruption et de l'avilissement des grandes métropoles.

Ensuite un héros : le sensei du dojo du coin. Pilier de sa communauté, c'est un homme (c'est TOUJOURS un homme) modeste, quadra ou quinquagénaire d'apparence ordinaire, totalement imprégné de l'esprit de discipline, de loyauté et de courage de son art martial, et passionné par le fait de transmettre ses valeurs et ses techniques à ses élèves. Il a peu l'occasion de le montrer dans ses cours, mais il est aussi expert dans le maniement d'armes blanches plus ou moins exotiques, voire carrément maître ninja secret ! Célibataire, divorcé ou veuf au début du film, il ne tarde pas en général à nouer une relation avec une femme plus jeune que lui, impressionnée autant par la rigueur de ses muscles que par celle de son caractère et qu'il aura préalablement sauvé des griffes de quelconques malandrins.

Notre héros, dispensant sagesse et technique à des élèves studieux (et pour certains au visage caché parce qu'on va les revoir plus tard en sbires).


Enfin des méchants : trafiquants de drogue, racketteurs ou proxénètes selon les obsessions américaines du moment, ils sont la lie de l'humanité, de véritables salopards qui n'hésitent pas à s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants, molestant les premiers, kidnappant les secondes et vendant du crack aux troisièmes ! A leur tête se trouve un parrain départemental du crime vivant dans une villa cossue (avec piscine !), fumant le cigare et cabotinant comme un damné.

Bureau du Parrain du Crime, Route des Platanes, au rond-point à droite après l'Intermarché, 57200 Sarreguemines Cedex.


A noter que le "prof de karaté" n'est pas toujours ceinture noire de karaté spécifiquement : il peut aussi bien pratiquer différents styles de kung-fu, de taekwondo ou d'autres arts martiaux, mais on reste dans des combinaisons poings-pieds assez classiques. Shuny Bee, le sujet de cette chronique, se présente ainsi comme spécialiste du jeet kune do, du taekwondo et du nunchaku.

C'est assez édifiant quand on pense que, 50 ans après sa mort, Bruce Lee puisse encore motiver des gens à se lancer dans de tels projets en hommage à sa mémoire.


C’est donc dans cet univers que Fight of Fury débute de façon explosive : dans la chaleur de la nuit rouge des villes de grande solitude, une jeune femme est poursuivie par une bande de malabars qui lui veulent du mal. Paniquée, frappant au hasard aux portes désespérement closes, elle finit par trouver refuge dans le dojo de Brandon, le prof de jeet kune do du quartier, qui va s’empresser de mettre au tapis la douzaine de malandrins à coups de poings approximatifs, de pieds qui passent à quelques mètres de leur cible et de « WATTA ! » ponctuant chaque mouvement. C’est la première scène du film et on est déjà pliés de rire.

WATTA !

WATTA !

WATTA !

Shuny Bee, sosie martial vocal de Bruce Lee. Dans certaines scènes on dirait un gros bébé capricieux en pleine crise de rage, qui n'arrive plus à contrôler ses émotions et s'apprête à vous balancer un jouet à la figure.


« Brandon », vous l’aurez compris, est l’avatar transparent de Shuny Bee, auteur-réalisateur-producteur-interprète-chorégraphe-tourneur-fraiseur-barista du film. A la ville, Shuny Bee est né au Népal dans les années 60 ou 70, a appris les arts martiaux durant sa jeunesse, puis eut l’opportunité de tourner en 1986 dans Janbaaz, une grosse production indienne avec les stars Feroz Khan et Anil Kapoor. Bien qu'il n'y tienne qu'un petit rôle, il est visiblement transformé par l’expérience et n'aura de cesse de retrouver le monde du cinéma. Il émigre aux Etats-Unis pour ouvrir un dojo en 1998 à Pasadena, mais revient au Népal en 2012 pour un nouveau film dont il sera cette fois le producteur et la star : Gorkha Protector (il s’y bat, joue, danse et chante, et on rêve évidemment de mettre la main dessus). En 2020, il se lance dans la réalisation et tourne dans (la banlieue pavillonaire de) la capitale mondiale du cinéma son premier et unique film à ce jour : Fight of Fury

 
"Gorkha Protector" se présentait déjà comme un hommage à Bruce Lee.


Shuny Bee affiche fièrement ses origines népalaises et se réclame de l’héritage martial des « Gurkhas », les guerriers traditionnels des montagnes. Une identité qui était au centre de Gorkha Protector et qu’il reprend dans Fight of Fury à travers le personnage de Brandon. Dans les avis Yelp et Reddit de son dojo (à Nanarland, nous avons l'investigation dans le sang), Shuny Bee est décrit comme un enseignant enthousiaste, patient et compétent, qui a fait de son école une entreprise familiale pour tous les âges.

Inclure une petite pub discrète pour sa propre école est un passage obligé du "film de prof de karaté".



Évacuons le scénario de Fight of Fury : la jeune femme sauvée par Brandon s'est échappée d'un réseau de traite d'êtres humains qui n'a de cesse de la recapturer ou de la faire taire. Brandon s'improvise dès lors son protecteur et le choc avec le réseau des criminels est inévitable, d'autant plus quand ces salopards tentent de s'en prendre à sa famille…

Le plat de résistance nanar de Fight of Fury ce sont donc les combats, qui sont tous d'incroyables moments de "bullshido" décomplexés. Les bras moulinent comme des éoliennes en pleine tempête, les mandales atterrissent occasionnellement dans le même arrondissement que leur cible, les coups de pieds sont plus téléphonés qu'un centre d'appel et les armes blanches maniées avec le même sens de l'adresse qu'un livreur Colissimo. Shuny Bee est la star solaire de ces scènes, poseur en diable, chacun de ses coups, chacun de ses mouvements, chacun de ses regards ponctué d'un "WATTA !" hommage à Bruce Lee qui finit par résonner comme un running gag.

Jeet Kune Ventilo !

Enrôler ses élèves pour jouer les méchants qui viendront se faire tataner par grappes de douze est aussi un passage obligé du "Film de prof de karaté".



Entendons-nous bien, il n'est pas question ici de remettre en cause les aptitudes martiales réelles de Shuny Bee, nous ne sommes pas du tout qualifiés pour en juger. On ne parle que de ce qu'on voit son personnage de Brandon accomplir à l'écran, et ce spectacle-là est un enchantement de tous les instants.

Et quand Shuny Bee s'est cassé la voix à force de "WATTA !"… c'est sa fille (dans le film et dans la réalité) qui prend le relais ! Dans une scène mémorable, elle fait la tête au carré à une bande de bullies à la sortie de l'école, distribuant patates de forain et mawashi-geris à la gorge à des gosses de CM1 qui font deux têtes de moins qu'elle, ce qui lui vaut en conclusion les chaleureuses félicitations du directeur du collège.

Quand de redoutables bullies tentent de faire régner la terreur...

...c'est l'escalade dans la violence !

Notez qu'elle s'en tire aussi très bien contre les adultes.


Fight of Fury se distingue de ses pairs par une caractéristique unique et un peu difficile à décrire : un sens inné du cadrage et de la photographie nanars. Encore et encore, on se surprend à faire pause pendant le film pour admirer un plan fixe, une composition créée avec un stupéfiant sens du ridicule qu'il serait même difficile de reproduire en le faisant exprès. Quelques exemples emblématiques illustrent cette chronique, souvent renforcés par le look "Men in Black de chez La Redoute" des sbires du méchant, qui semblent pour certains porter un costard pour la première fois de leur vie.


On se doit d'ailleurs de consacrer un paragraphe aux méchants : comme on était en droit de s'y attendre, ils surjouent la vilénie avec entrain, Parrain N°1 affiche une combinaison capillaire mohawk-bouc-moustache du meilleur aloi, visiblement dans l'idée de se faire la tête du champion de MMA Chuck Liddell, tandis que Parrain N°2 peut désormais utiliser Fight of Fury comme carte de visite pour lancer sa carrière de Sosie de Robert de Niro.

Parrain N°1 s'appelle, sans rire, "Brutal" (Prénom : Pascal ?)

Les décors sont une autre source inattendue d'hilarité : on n'a jamais vu autant de violence se déchaîner sur le perron, dans le garage ou dans le jardin de pavillons de banlieue aménagés à la hâte pour le tournage… voire laissés en l'état parce que bon, flemme !

Une ambiance très "barbecue du dimanche qui dérape"...

Les garages californiens ne servent pas qu'à incuber des start-ups informatiques ou des groupes de rock grunge : ce sont aussi des décors parfaits pour le cinéaste fauché et pas trop exigeant.

Fight of Fury est un nanar exemplaire. Il transpire le projet-passion par tous les pores, ce qui en fait un mauvais film extrêmement sympathique. Surtout, il évite les écueils les plus communs dans le genre du "film de prof de karaté" : à la différence de certains de ses pairs comme Champagne and Bullets ou The Master Demon, notre héros-réalisateur ne s'est ainsi pas réservé une scène de cul gênante avec la seule actrice professionnelle du casting, et le niveau de violence des combats reste résolument tous publics, sans verser dans aucun excès de brutalité gratuite. Pas de tunnels de dialogues, pas de ventre mou ici : chaque bagarre nous emmène vers la suivante, et même lorsque l'action fait une pause, le film arrive encore à nous faire rire.

C'est à peu près le moment le plus gore du film.

Et voici le passage le plus pornographique : le défilé des employées du Parrain.

C'est sans aucune malice qu'on s'amuse ainsi à repérer les faux raccords pléthoriques, les figurants involontaires qui se demandent ce que cette caméra fait dans cette rue ou dans ce restaurant, les acteurs amateurs dont la diction sonne faux à chaque réplique, ou les décors recyclés d'une scène à l'autre, comme le gymnase de Shuny qui devient, grâce à l'usage astucieux de tapis de sols accrochés aux murs, tantôt le théâtre d'une scène de combat, tantôt le bureau du directeur de l'école de sa fille, tantôt l'antre du chef de la mafia.

Le bureau du proviseur est en fait celui du gymnase de Shuny Bee, avec la porte astucieusement bloquée par un tapis de gym bleu pour cacher la vue, et l'écriteau en papier "Principal Levy" sur le bureau qui complète l'illusion. On notera aussi que le proviseur est bloqué derrière son bureau, sans moyen d'en sortir si ce n'est à quatre pattes !


Les tapis de gym bleus : l'élément indispensable de vos tournages à prix mini.

Lors de ce dialogue particulièrement lunaire, deux personnages qui ne sont pas du tout au même endroit sont insérés au forceps par le montage, avec cette pauvre bouteille seule pour faire illusion.


Le film s'achève sur un cliffhanger complet et Shuny Bee a lancé en 2021 un financement participatif pour un "Fight of Fury 2 - Annihilation". Malheureusement celui-ci échoua en ne récoltant que la moitié des fonds espérés. Si jamais il se relance un jour, il pourra compter sur Nanarland pour lui faire autant de pub que possible, et même à titre personnel offrir une petite obole pour espérer un jour revivre de telles émotions.

Shotgun Shuny !




Fight of Fury fourmille de petits détails amusants. On s'est par exemple amusé à repéré certaines babioles du décor qui reviennent aussi bien dans la salle d'entraînement du héros qu'au lycée où va sa fille ou dans le repaire du méchant (en fait, tout a été tourné dans le gymnase de Shunny Bee, ce qui explique ce recyclate de bibelots).

- Barracuda -
Moyenne : 4.25 / 5
Barracuda
NOTE
4.5/ 5
John Nada
NOTE
4/ 5
Kobal
NOTE
4.5/ 5
Rico
NOTE
4/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation

Le film a été édité en DVD aux Etats-Unis et se trouve sur Prime Video dans certains pays (mais pas en France). Chez nous le plus commode pour le regarder est tout simplement Youtube avec des sous-titres anglais. Il n'existe évidemment pas de VF.