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Nosferatu à Venise
(1ère publication de cette chronique : 2006)Titre original :Nosferatu a Venezia
Titre(s) alternatif(s) :Nosferatu in Venice, Vampires in Venice, Nosferatu : vampire
Réalisateur(s) :Klaus Kinski, , A. Caminito, M. Lucidi, M. Caiano, L. Cozzi
Année : 1988
Nationalité : Italie
Durée : 1h37
Genre : Plouf dans la lagune !
Acteurs principaux :Donald Pleasence, Klaus Kinski, Elvire Audray, Christopher Plummer, Anne Knecht, Barbara De Rossi, Yorgo Voyagis, Mickey Knox
Autant avertir tout de suite le lecteur, le film qui fait l’objet de cette chronique n’est pas à proprement parler un nanar hilarant. Il s’agit cependant d’une bizarrerie suffisamment intéressante pour mériter d’être mentionnée en ces lieux. « Nosferatu à Venise » est en effet l’une des pires catastrophes de toute l’histoire du cinéma fantastique italien, un film maudit par un tournage désastreux, des caprices hallucinants de l’acteur principal, une succession de réalisateurs dans une atmosphère de chaos total, pour aboutir à un résultat final qui mélange d’excellentes idées à des moments de pure nanardise, une mise en scène inspirée à un récit sans queue ni tête saupoudré d’une bonne dose de kitsch. C’est en outre l’un des ultimes soubresauts de Klaus Kinski, pétant son dernier plomb avant de couler sa dernière bielle en passant derrière la caméra pour « Paganini », puis d’expirer trois ans plus tard, sa batterie étant définitivement à plat.
« Nosferatu à Venise » naît d’un projet du producteur italien Augusto Caminito, désireux de réaliser une suite au film de Werner Herzog, dans un décor typiquement italien, avec Kinski reprenant l’un de ses rôles les plus célèbres. Très ambitieux, le film a d’emblée les défauts de ses atouts : si la présence de Klaus Kinski est indispensable à sa réalisation, l’acteur allemand va être l’un des principaux facteurs de la catastrophe finale. Kinski est en effet surtout intéressé par « Paganini », son premier film en tant que réalisateur, que Caminito doit produire – ce qui est sans doute la principale raison de sa présence sur ce nouveau « Nosferatu ». Ayant trouvé les séances de maquillage pénibles sur le tournage du film d’Herzog, Kinski exige d’emblée de jouer le rôle au naturel, sans se raser le crâne ni se maquiller. La production accepte pour bénéficier de sa présence, bien que le film perde d’emblée sa raison d’être. Vampire aux cheveux longs, aux allures de rock-star vieillissante, Kinski n’a strictement plus rien de commun avec le personnage qu’il interprétait chez Herzog (et qui d’ailleurs se nommait Dracula, « Nosferatu » n’étant qu’un surnom ; ici, il est constamment nommé Nosferatu, ce qui n’a aucun sens). Créature assez pathétique chez Herzog, Nosferatu devient ici un seigneur du mal légendaire, quasiment indestructible et aux pouvoir colossaux. Il pourrait porter un autre nom, le film ne s’en porterait pas plus mal (ni mieux, d’ailleurs).
Le tournage va ensuite se révéler extrêmement chaotique et, surtout, un véritable gouffre à brouzoufs, comme a contribué à nous le révéler notre interview de Luigi Cozzi. Augusto Caminito commence par embaucher un premier metteur en scène, Maurizio Lucidi, qui tourne des scènes d’ambiance durant le carnaval de Venise. Caminito décide ensuite de le remplacer par Pasquale Squitieri, cinéaste plus renommé, qui écrit le scénario. Nous en sommes encore au stade de la préparation quand Squitieri, suite à un désaccord, quitte le projet sans avoir tourné la moindre scène et en empochant l’intégralité de son cachet de réalisateur, comme l’avait fait avant lui Maurizio Lucidi. Caminito embauche alors un troisième réalisateur, Mario Caiano, vétéran du cinéma bis italien. Kinski arrive enfin pour tourner ses scènes quand, au second jour de tournage, il agresse violemment Caiano, lui lançant un miroir de maquillage à la figure et l’agonisant d’injures devant toute l’équipe. Caiano, très digne, se retire dans sa caravane en refusant de travailler avec un individu pareil. Au désespoir, Caminito consent à lui laisser quitter le tournage, en lui versant l’intégralité de son salaire. Trois réalisateurs sur le carreau, payés intégralement sans avoir presque rien tourné : le budget est presque saigné à blanc. Tenant beaucoup au projet, Caminito décide de réaliser le film lui-même, le réalisateur de seconde équipe Luigi Cozzi tournant certaines scènes, et Kinski insistant pour mettre en scène lui-même, filmé par Cozzi, ses propres idées créatives.
Une des idées originales du film : le vampire vit la nuit, mais ne meurt pas à la lumière du jour.
A ce stade du tournage, Kinski a pris le contrôle du film, et fait littéralement ce qu’il veut, marchant en dehors du cadre pour embêter les cameramen, refusant de refaire ses prises et ne consentant à venir jouer ses scènes que quand il a pu filmer ses inspirations. Le budget étant épuisé, le tournage doit s’interrompre alors qu’il reste encore à réaliser des scènes explicatives et de raccord. Monté vaille que vaille, le film est projeté hors compétition au festival de Venise, où l’Italie envoie régulièrement ses productions les plus improbables (voir « Bambola ») et se révèle une catastrophe financière qui contribue à enterrer le cinéma d’épouvante transalpin.
Mais, au-delà de ses vicissitudes de tournage, que vaut le film lui-même ? « Nosferatu à Venise » est un objet étrange et très atypique, mélangeant des passages authentiquement inspirés et quelques excellentes idées de scénario à des scènes relevant du nanar le plus kitsch. Le récit tourne autour d’une obscure malédiction pesant sur une famille de l’aristocratie vénitienne : il y a 200 ans, Nosferatu, seigneur des non-morts, a vampirisé une jeune fille de la famille, et il semble menacer de revenir. Le professeur Paris Catalano, vampirologue de renom (Christopher Plummer), arrive à la rescousse et déduit que Nosferatu souhaite retrouver chez une jeune fille vierge de la famille l’amour qu’il a perdu il y a des siècles. Accablé par son immortalité, le vampire ne peut en effet mourir que si une femme vierge lui accorde volontairement son amour. La malédiction, dont on ne comprend pas vraiment en quoi elle consiste, va-t-elle s’accomplir, et Helietta ou bien la jeune Maria seront-elles victimes du vampire, et laquelle lui cédera son pucelage ?
Mesdemoiselles, céderiez-vous votre virginité à cet homme ?
Le splendide décor naturel de Venise, une musique assez réussie de Vangelis et Luigi Ceccarelli, des acteurs confirmés, un scénario assez original… Toutes les conditions étaient réunies pour faire un film d’horreur tout à fait digne d’attention. Malheureusement, et malgré une photo soignée et une mise en scène parfois inspirée, « Nosferatu à Venise » dérape complètement dans les méandres de son scénario, l’interruption prématurée du tournage ayant laissé des trous énormes, qui donnent parfois l’impression de voir un brouillon de film. Pourquoi Nosferatu tue-t-il la grand-mère, qui ne lui a rien fait, en la jetant par la fenêtre (donc même pas pour se nourrir) ? Quels sont les sentiments exacts de Maria, personnage central et pourtant laissé complètement flou par le scénario ? A quoi sert le personnage du prêtre interprété par Donald Pleasence, sinon à avoir une tête connue au casting ?
Pleasence cachetonne.
Tout reste complètement vague, aussi brumeux que les brouillards vénitiens qui semblent avoir également envahi le cerveau des auteurs. Klaus Kinski, qui n’a qu’à apparaître sans rien faire pour impressionner, joue son personnage avec un détachement plutôt crédible chez un vampire accablé par sa vie éternelle, mais son personnage demeure trop mal défini pour soutenir un film parsemé de scènes affreusement nanardes.
On peut citer, parmi les points d’orgue kitsch du film :
Un flash-back horrifique totalement grotesque, avec l'acteur Mickey Knox qui cabotine comme un malade en exorciste moyennement compétent :
Nosferatu, faut pas lui baver sur les rouleaux !
Une scène hallucinante où Kinski, atteint par le tir d’un fusil à tuer les rhinocéros (sic), arbore fièrement au milieu du buste un trou parfaitement rond, qui se rebouche aussitôt après :
Un vol au-dessus de Venise en incrustations franchement ratées ; un flash-back sur l’épidémie de peste à Venise, mêlé à des pitreries désolantes de figurants en costumes de carnaval ; un masque en caoutchouc somptueusement raté et absolument inutile dans le récit ; un vampire qui tient à mettre sa victime les seins à l’air avant de lui déguster la carotide ; une scène où Nosferatu suit sa victime potentielle dans les rues de Venise avec une démarche de zombie atteint de la polio (alors qu’il court le cent mètres dans d’autres séquences).
Sacré Klaus !
On pourra également reprocher au film un rythme lent, destiné à insuffler une atmosphère poétique, mais qui ne se révèle que mou et cotonneux face à la confusion générale du scénario. Enfin, Caminito a visiblement été ravi de bénéficier d’une partition plutôt inspirée, mais il l’utilise ad nauseam dans toutes les scènes d’émotion, jusqu’à donner la migraine au spectateur.
L’une des meilleures trouvailles du film : par la seule force de la pensée, Kinski rend incandescent le crucifix de Christopher Plummer.
Parmi les éléments qui contrebalancent les défauts du film, citons : une interprétation honnête (les jeunes premières mises à part) et un final tout à fait original et intéressant, du moins sur le papier. Le film a également pour mérite de tenter de donner de l’épaisseur au personnage du vampire, même si les efforts du scénario ne sont pas très aboutis.
En résumé, « Nosferatu à Venise » est ce que l’on pourrait appeler un nanar intermittent, mêlant inspiration et confusion, poésie visuelle et esthétique ridicule. Sans queue ni tête, assaisonné d’une bonne dose de Kinski, parfois réussi, parfois grotesque, cette histoire de vampirisme vénitien est une sorte de prototype du film malade, dont on reste encore étonné de constater qu’il a un début, un milieu et une fin.
Sans être particulièrement hilarant, « Nosferatu à Venise » est une véritable perle pour les amateurs de films d’horreur inaboutis et bizarroïdes, ainsi qu’un régal pour les Kinskiphiles. Indéniablement raté, parfois soporifique, parfois saisissant, parfois amusant, complètement atypique. « Nosferatu à Venise » n’a véritablement sa place nulle part, sauf peut-être sur Nanarland. C’est là la raison d’être de cette chronique, qui offre modestement un dernier refuge à ce film naufragé.