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Paganini Horror

(1ère publication de cette chronique : 2006)
Paganini Horror

Titre original : Paganini Horror

Titre(s) alternatif(s) :The Killing Violin, Il Violino che uccide

Réalisateur(s) :Luigi Cozzi

Année : 1989

Nationalité : Italie

Durée : 1h29

Genre : Carnage musical

Acteurs principaux :Donald Pleasence, Jasmine Main, Daria Nicolodi, Pascal Persiano, Michèle Klipp

Nikita
NOTE
2.5/ 5

Il arrive que l’amateur de nanars soit confronté à des diamants si bruts que leur quasi-perfection en vient à leur donner un statut d’œuvre d’art cohérente et aboutie. « Paganini Horror » est de ceux-là, tourné en pleine débâcle du film d’horreur italien, lancé comme une bouteille à la mer dans un marché du cinéma désormais peu réceptif au grand-guignol transalpin.



Injustement méconnue, décriée par son réalisateur même comme une « nullité absolue » (Luigi Cozzi a été plus pudique dans l’interview qu’il nous a accordée), cette œuvre a pourtant tout du vibrant manifeste d’un cinéma d’épouvante artisanal en train de mourir. Extrémiste dans sa logique de tournage à l’économie, « Paganini Horror » se montre parfois fascinant dans sa gestion d’une misère budgétaire que l’on devine d’une ampleur tiers-mondiste. Le film de Luigi Cozzi se montre en outre d’une audace toute post-moderne en tentant la fusion entre culture « haute » et culture « basse », mêlant références à la musique classique et variété italienne trash, réminiscences de l’horreur gothique et paillettes berlusconiennes, Paganini et la Cicciolina ! Un paradoxe typiquement italien que cette alliance entre académisme et sous-culture, sur fond de capilotade économique, le budget du film étant visiblement parti dans la poche de louches intermédiaires, tel les fonds publics dans les caisses noires d’un parti politique.




« Paganini Horror », c’est d’abord un style : un expressionnisme absolu dans la mise en scène et l’interprétation, contrebalancés par une austérité de l’action et des décors, la quasi-totalité de l’action se déroulant à huis-clos. La volonté de réaliser un film d’horreur à la forme délirante se heurte ainsi à la nécessité bassement financière du décor quasi-unique, sur le mode du « je veux, mais ne peux ». Ce heurt entre une volonté de montrer et une impossibilité de le faire tout à fait conduit à un choc esthétique troublant, rappelant par instant la cotonneuse narration du « Vampyr » de Dreyer.



L’action du film prend pour cadre le tournage d’un vidéo-clip. La chanteuse Kate (Jasmine Maimone, alias Jasmine Main) et son groupe, accompagnés de leur productrice, ont loué pour l’occasion la propriété vénitienne d’une respectable dame (Daria Nicolodi, ex-épouse de Dario Argento et maman d’Asia Argento, pour la petite histoire). Il faut dire que nos amis vont, musicalement parlant, frapper un grand coup : l’un des membres du groupe a fait l’acquisition, auprès d’un mystérieux intermédiaire, de la partition d’un morceau de musique inédit de Niccolò Paganini. Ledit morceau est ensuite adapté pour la nouvelle chanson de Kate.


Ayant achevé sa journée de tournage, Donald Pleasence s’enfuit avec son cachet.


Daria Nicolodi.


Jasmine Main.



Bien évidemment, les musiciens auraient dû se méfier : une rumeur ne prétend-elle pas que Paganini aurait vendu son âme au diable pour atteindre la gloire ? Personnellement, je pense plutôt que si la partition est restée inédite, c’est parce que Paganini l’avait composée dans un moment d’ivrognerie : à en juger par la soupe immonde que jouent nos héros, ce n’est absolument pas possible qu’il ait pu composer sérieusement un truc pareil. [ce morceau est en fait une reprise / plagiat de la chanson "Twilight" du groupe Electric Light Orchestra, dont ils ont conservé la mélodie tout en changeant les paroles]





Evidemment, les forces du mal, sans doute scandalisées par la torture musicale qu’on leur inflige et par le mauvais goût intense du vidéo-clip, ne vont pas tarder à se réveiller : les musiciens, l’équipe de tournage et la propriétaire se retrouvent coincés à l’intérieur de la maison par une force invisible, et pourchassés par un fantôme de Paganini qui tue à l’aide d’un violon pointu. Survivront-ils jusqu’au matin ?




On commence par une évocation de Paganini, on poursuit par un hommage à « L’Ange exterminateur » de Luis Buñuel : Luigi Cozzi vise haut mais n’atteint rien, tel un Tantale du cinéma d’horreur. « Paganini Horror », c’est le film de l’alliance des contraires : on veut faire un film d’épouvante post-moderne, on fait de l’intimiste en tournant 80% du film dans un couloir ; on veut pétrifier de terreur, on hypnotise par tant de bêtise ; on veut faire peur par des moyens horrifiques traditionnels, mais c’est la nullité du jeu des acteurs qui terrorise.





L’interprétation est sans nul doute l’un des points forts du film, où réside une grande partie de sa richesse conceptuelle. Acteurs lamentables (à l’exception de Donald Pleasence et, dans une moindre mesure, de Daria Nicolodi), post-synchronisés n’importe comment (y compris dans la VO italienne) et, surtout, laids à faire peur. Jasmine Main est ainsi l’héroïne parfaite de cette apothéose de l’art brut : osseuse, non-charismatique, le visage parcouru de grimaces comme une mauvaise imitation de masque africain, Jasmine terrifie plus sûrement que tous les effets spéciaux du film. Sa carrière s’interrompra d’ailleurs ensuite, sans doute victime pour de bon de la malédiction de Paganini (le fantôme du musicien l’a sans doute attachée sur une chaise et obligée à écouter ses propres chansons en boucle : les vengeances d’outre-tombe, c’est souvent assez sadique).



Les effets spéciaux, puisqu’il est question d’eux, figurent également parmi les atouts d’un film-manifeste de l’artisanat : plus rudimentaires qu’au temps de Méliès, ils ne découragent pourtant pas Luigi Cozzi, qui nous les montre autant que possible, comme un gamin fier de son jouet. Suivant l’axiome de « La Revanche de Samson », suivant lequel des effets spéciaux médiocres ne sont jamais aussi ratés que quand on les montre explicitement, Cozzi ignore la demi-mesure et nous régale d’un festival de farces et attrapes. Il est vrai que le réalisateur de « Starcrash » n’allait pas se laisser complexer par des trucages techniquement insuffisants !



Objet fascinant par sa manière de se jouer des peurs primales du spectateur (« Mais quand ce film va-t-il s’arrêter ? » « Et si je me retrouvais soudain en enfer, devant ce film qui passait en boucle ? »), « Paganini Horror » s’apparente par la structure de son scénario (illogisme apparent des situations, twist final…) à un épisode de la BD italienne d’épouvante « Dylan Dog », mais totalement inabouti.



L’utilisation anarchique de situations gratuites se fait ici au rythme d’une frénésie sans limite, au service d’une étonnante spirale narrative dont la résolution sera d’autant plus poignante qu’elle n’apportera rien et ne résoudra rien. Etonnant et déconcertant de bout en bout, « Paganini Horror », quoi qu’en dise son réalisateur, est une œuvre d’art véritable, un poème de la nullité, une symphonie du mauvais goût, un film d’auteur authentique. Chapeau, Monsieur Cozzi. Je vais maintenant finir ma bouteille de grappa et aller me coucher.

- Nikita -
Moyenne : 2.25 / 5
Nikita
NOTE
2.5/ 5
MrKlaus
NOTE
3/ 5
Rico
NOTE
1.5/ 5
Jack Tillman
NOTE
2/ 5

Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation
Jamais sorti en France, le film a bénéficié d’une réédition DVD dans plusieurs pays : Italie, Allemagne. Le DVD allemand nous propose même une interview de Luigi Cozzi, avec des scènes coupées et une fin alternative (je suis curieux de voir ça).