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Entretien avec
Thomas McKelvey Cleaver

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Thomas McKelvey Cleaver

Son nom ne vous dira sans doute pas grand chose, et pour cause : Thomas McKelvey Cleaver n'est ni acteur, ni réalisateur mais scénariste. Dans cet entretien qu'il a accordé à Nanarland, Thomas nous raconte les aléas de son métier dans l'industrie hollywoodienne où, à défaut de voir ses projets personnels adaptés à l'écran, on se résout à pondre à la va-vite quelques scénarios de séries B histoire de faire bouillir la marmite. S'il vit aujourd'hui surtout de son métier de journaliste et d'écrivain (il est l'auteur de nombreux romans historiques sur le thème de l'aviation), Thomas fut ainsi l'auteur de scripts de singuliers nanars, écrits pour Roger Corman et réalisés aux Philippines par le regretté Cirio H. Santiago dans les années 80 et 90.

Interview menée par John Nada en février 2008.


Bonjour Thomas, et merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Tout d'abord, pourriez-vous commencer par nous raconter comment vous avez débuté votre carrière de scénariste à Hollywood ?

J'ai commencé à travailler dans l'industrie du film au début des années 80, comme photographe de plateau, sur un film qui s'appelait « Gypsy Angels ». Au bout d'une semaine de tournage, l'équipe s'est cassée les dents sur une scène qui ne fonctionnait pas et qui leur a fait prendre beaucoup de retard sur le planning. Cette nuit-là, en relisant le scénario, je me suis dit « Personne ne dirait jamais ce genre de choses ! ». J'ai alors entrepris de réécrire ce passage et l'ai donné au réalisateur, qui était aussi mon ami. Avant qu'il n'ait eu le temps de m'étriper, l'acteur qui tournait la scène a attrapé les pages, les a parcourues et a dit « comme ça, ça fonctionne ». Du coup ils ont tourné la scène et ça a marché. L'équipe était tellement enthousiaste que le retard pris sur le calendrier de tournage a pu être rattrapé dans les jours qui ont suivi. Quand je suis venu m'excuser auprès du réalisateur, il m'a suggéré de jeter un œil à quelques autres scènes et m'a proposé ce qui - je n'en avais pas encore conscience à cette époque - était alors un salaire de misère pour les réécrire. Une somme dérisoire que je n'ai même pas perçue au bout du compte, parce que les producteurs ont piqué trop d'argent. Etant donné que, en dehors des séquences aériennes, c'était un mauvais film, je me dis que ce n'était pas vraiment une grosse perte. Le premier rôle était tenu par Vanna White, qui n'était pas encore devenue LA Vanna White et était alors une bien piètre actrice. Plus tard j'ai rencontré des scénaristes et intégré ce milieu.


Je n'ai jamais éprouvé le besoin irrépressible de faire du cinéma. J'ai grandi en adorant tout un tas de films, mais personne à Denver, Colorado, n'aurait eu l'idée de travailler dans ce milieu. Je suis tombé dedans fortuitement, après une carrière en politique comme attaché du candidat Willie Brown aux élections législatives de l'Etat de Californie. Un boulot tuant que j'ai dû abandonner pour ne pas y laisser ma peau (au sens propre : lors de ma visite médicale en 1980, le docteur m'a annoncé que j'étais en bonne voie pour décrocher un ulcère l'année suivante et une crise cardiaque à 40 ans, ce qui ne s'est finalement pas produit). J'ai toujours été assez bon à l'écrit - j'ai bossé comme journaliste, j'ai rédigé des discours etc. - et j'ai aussi un regard de photographe, ce qui fait que j'arrive à écrire des histoires qui évoquent beaucoup d'images. Je crois vraiment que mes compétences de scénariste doivent autant à mes talents d'écrivain qu'à mon passé de photographe, dans la mesure où j'arrive facilement à visualiser une image dans ma tête et à la retranscrire avec des mots, ce qui est peu ou prou le principe d'un scénario.

Un grand nombre des scénarios que vous avez écrits l'ont été pour des films produits par Roger Corman et tournés aux Philippines par le réalisateur Cirio H. Santiago. Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler pour Corman, et quel était grosso modo le processus d'élaboration d'un script produit par sa compagnie ?

Un collègue scénariste s'est vu proposer par des amis à lui qui travaillaient pour Roger d'écrire un film pour eux, mais comme il venait juste d'adhérer à la SWG [Nanarland : Screen Writers Guild, le syndicat des scénaristes aux Etats-Unis], il ne pouvait pas et m'a donc recommandé pour faire ce travail. Le résultat, ce fut Saïgon Commandos, qui fut tourné en 1986 et distribué par le biais de la société de Roger. Plus tard cette année-là, j'ai reçu un appel du chargé de production de Roger, qui m'a proposé d'écrire un autre script de film pour eux. J'ai rencontré Roger qui m'a dit que Saïgon Commandos était le scénario le plus intelligent qu'il ait vu cette année-là. Du coup je me suis retrouvé à rédiger plusieurs scénarios pour lui. Tous ces projets qui vous intéressent sont des scripts qu'on m'a chargé d'écrire, où Roger me donnait une idée de départ que je devais ensuite développer sous forme de scénario. C'était du pur travail de commande. Les scénarios que j'écris pour mon compte - qui ont tous retenu l'attention bien qu'ils n'aient jamais été produits (mais il se pourrait que ça change bientôt) - sont très différents de ces films.

Les scénarios de films de guérilla dans la jungle à la Rambo, et de post-nukes à la Mad Max 2, sont très souvent interchangeables, qu'ils soient produits aux Etats-Unis, en Italie ou aux Philippines. N'y avait-il jamais de place pour un peu de nouveauté et d'imagination dans ces scripts formatés ? Artistiquement parlant, de quelle marge de manœuvre disposiez-vous ?

Ils voulaient mon point de vue sur l'idée. Pour M.N.I. : Mutants Non Identifiés[Nanarland : The Terror Within en VO] par exemple, Roger m'a appelé pour me dire qu'il voulait une histoire « post-apocalyptique mais j'en ai marre de la guerre nucléaire », alors j'ai imaginé une apocalypse biologique, avec un organisme créé génétiquement qui s'échappe d'un laboratoire et décime l'humanité. Je me suis souvent inspiré des thèmes classiques qu'on retrouve dans les vieilles histoires de science-fiction. Quand j'étais môme, je lisais beaucoup d'histoires de science-fiction post-apocalyptiques écrites dans les années 50 et inspirées par la crainte d'un conflit nucléaire, et j'ai su m'en souvenir. Le genre possède un certain cachet, ce sont en quelque sorte des westerns futuristes quand on y pense.


En moyenne, combien de temps prenait la rédaction d'un de ces scripts que vous commandait Roger Corman, et combien étiez-vous rémunéré pour cela ?

De l'argent, on pouvait en gagner assez pour vivre à condition d'écrire vite. Heureusement pour moi, j'écris vite. Un jour, j'ai parié quitte ou double avec Roger que je pouvais écrire un premier jet acceptable en 72 heures, et j'ai gagné mon pari. Le film ne s'est jamais fait mais Roger a toujours trouvé cette histoire amusante. Les sommes que je percevais n'avaient rien d'extraordinaire, mais c'était bien plus que ce qu'un scénariste pourrait gagner de nos jours dans des circonstances analogues.

Avez-vous vu les films qui ont été tournés à partir de vos scénarios pour Corman ? Le résultat à l'écran est-il fidèle à ce que vous aviez écrit ?

Je les ai tous vus. Le seul où ce qui figure à l'écran correspond à ce qui figurait sur le papier, c'est M.N.I. : Mutants Non Identifiés, et c'est la raison pour laquelle ce film est le seul dont je veux bien assumer la responsabilité. C'était aussi le meilleur du lot, reconnu dans certains cercles comme un « classique », et qui fonctionne encore 20 ans après.


A la base, j'avais reçu un coup de fil inattendu de Roger, alors que j'étais entre deux brouillons d'un très bon script devenu plus tard un très mauvais film connu sous le titre de Immortal Sins. Il me disait qu'il avait un décor de maison qui pouvait devenir un laboratoire souterrain, qu'il voulait appeler ça M.N.I. : Mutants Non Identifiés et qu'il voulait du post-apocalyptique autre que nucléaire. Au final, ils n'ont pas utilisé le décor de la maison, et ce petit film conçu au départ pour rentabiliser le coût d'un décor sur deux tournages est devenu l'un de ses plus gros succès commerciaux. La preuve que William Goldman avait raison quand il disait que les trois règles de Hollywood sont : « Personne. Sait. Rien. »

Quels souvenirs gardez-vous de Roger Corman ?

Roger est sans doute le type le plus intelligent que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans ce business. Quand on songe au nombre de personnes bourrées de talent qui sont sorties de l'écurie Roger Corman, on se dit que si Roger n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer. C'est dommage qu'il ne soit plus trop actif aujourd'hui, parce que c'est une chance en moins pour les jeunes réalisateurs de montrer de quoi ils sont capables.

Raid sur le Mékong alias Le Guerrier du Mékong (Beyond the Call of Duty, 1992), autre vietnamerie scénarisée par Thomas Cleaver et réalisée par cirio H. Santiago pour Roger Corman.

Une majorité des scénarios que vous avez écrits appartient à des genres propres à l'industrie du cinéma populaire, comme l'horreur, l'érotisme ou le post-apocalyptique. Etait-ce par goût ou par opportunité ?

Ces scripts sont ceux que j'ai eu l'opportunité de faire pour payer mes factures. Les scénarios que j'ai écrits pour mon compte abordent eux des genres et des sujets qui vont du film d'aviation de la Deuxième Guerre mondiale sur les héros fabriqués de toutes pièces par les autorités, à un thriller politique situé dans la France contemporaine, en passant par une histoire sur la guerre du Viêt-Nam basée sur ma propre expérience [Nanarland : Thomas Cleaver est un vétéran de ce conflit] et celles des autres vétérans que j'ai eu l'occasion de rencontrer, et qu'American Film a un jour baptisé « Le meilleur scénario hollywoodien sur la guerre du Viêt-Nam jamais produit ». Nous sommes actuellement tout près (je l'espère !) d'entamer la production d'un film sur la Deuxième Guerre mondiale dans la tradition d'oeuvres comme Les Canons de Navarone, qui mélange Histoire réelle et fictive sur le registre du « et si », a priori plutôt adroitement puisque de nombreuses personnes qui ont lu le scénario ont crû que j'avais découvert un évènement réel (désolé, ça n'est que le produit d'une imagination fournie). Je suis aussi en plein dans l'écriture d'un script sur la guerre en Afghanistan, mené en collaboration avec un collègue qui a pu mettre à profit son expérience de soldat stationné avec l'armée nationale afghane.

Comme dans beaucoup d'autres domaines artistiques, il y a un fossé important entre ce que l'on aimerait faire et ce que l'on doit consentir à faire pour gagner sa vie. A quel point cela est-il frustrant pour le scénariste que vous êtes ?

C'est extrêmement frustrant. Tous les scripts que j'ai pu écrire parce qu'ils me tenaient à coeur ont été retenus, plusieurs le sont toujours, mais au final aucun n'a été produit. Je suis passé très près d'aller aux Philippines faire In The Year of the Monkey, mon scénario sur le Viêt-Nam, lorsque la grève des scénaristes de 1988 est intervenue. Lorsque celle-ci a pris fin, les fonds prévus pour mon film avaient été alloués à d'autres projets. La plupart des choses que j'écris pour mon compte traitent de sujets sérieux, et comme il n'y a pas moyen d'en tirer un jeu vidéo ou une flopée de séquelles, les magnats hollywoodiens obnubilés par le merchandising n'y voient pas vraiment d'intérêt commercial.


Le cinéma exerce une forte fascination qui fait que de nombreuses personnes rêvent de devenir acteur ou actrice, réalisateur ou scénariste. En tant qu'homme d'expérience travaillant dans cette industrie depuis maintenant 25 ans, quels conseils de base donneriez-vous à un jeune voulant se lancer dans l'écriture de scénarios ?

Lisez. De nos jours, trop de jeunes apprentis scénaristes ne sont pas de bons lecteurs, et par conséquent n'aiment pas ça, alors que chaque lecture est l'occasion d'étudier des écrits qui ont réussi à être publiés. C'est simple : si on n'est pas un bon lecteur, on ne peux pas être un bon écrivain. Je conseillerais aussi d'acheter un appareil photo et de se balader en s'entraînant à créer des images, à composer un plan. Les films sont des histoires racontées avec des images, et si le scénariste n'arrive pas à suggérer ces images, c'est que son scénario a un problème. La plupart des scénaristes échouent lorsqu'il s'agit de faire naître des images avec des mots. De plus, écrire un scénario de film ça n'est pas seulement écrire, c'est aussi échafauder, un peu comme un architecte trace les plans d'une maison que d'autres vont construire après lui. Les scénarios n'ont rien à voir avec la littérature, si vous voulez faire de la littérature alors écrivez donc un roman. Je suggérerais enfin de sortir de chez soi, voir le monde extérieur et accumuler un peu d'expérience avant de commencer à écrire, histoire d'avoir quelque chose à dire, mais ça c'est quelque chose dont on ne semble plus beaucoup se préoccuper aujourd'hui.

Pendant deux ans, j'ai eu la chance de pouvoir déjeuner chaque semaine avec Billy Wilder à la fin de sa vie. Il m'a donné deux conseils essentiels : si ça ne t'intéresse pas, ça n'intéressera personne, alors écris pour te faire plaisir. Et : si tu ne crois pas en toi et en ce que tu as écrit, alors qui d'autre le fera ?

Si l'on en croit l'IMDB, votre dernier script à avoir été produit date de 1997. Travaillez-vous toujours activement dans l'industrie du cinéma ? Pourriez-vous nous parler un peu de vos projets futurs ?

Je travaille toujours dans l'industrie du film et n'ai rien fait d'autre au cours des années passées. J'ai travaillé sur le processus de développement de quelques productions, et comme producteur délégué sur certaines émissions du câble via lesquelles j'ai pu lancer les carrières de quelques jeunes scénaristes. J'ai aussi écrit quelques scénarios ces dernières années, qui ne se sont pas encore concrétisés mais sont « en cours de développement ». J'ai également trois projets sur le feu en ce moment, comme je l'ai déjà mentionné précédemment. J'ai l'espoir que quelques-uns de ces films voient le jour.

- Interview menée par John Nada -