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Entretien avec
Tommy Bull

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Tommy Bull

Avec les interviews de Bill Mills et de Jimmy Williams, cet entretien est l'un des trois que nous avons menés pour en apprendre plus sur un film coup de coeur : Dans les Griffes du Dragon d'Or. Réalisateur de seconde équipe et chorégraphe des combats de ce singulier nanar, Tommy Bull y interprète également le bras droit du méchant. Fils de boxeur, il a lui même remporté quelques titres dans le noble art dès l'âge de 17 ans, mais s'est surtout consacré aux arts martiaux. Il est 9 fois champion du monde de kung-fu dans un style un peu confidentiel (Wa-Lu, originaire de Thaïlande), a remporté quelques belles victoires dans des compétitions de kickboxing diffusées sur les chaînes du câble aux Etats-Unis, avant de prendre sa retraite sportive en 1994. Il a également exercé le métier de chasseur de primes, et participé à la très populaire émission America's Most Wanted. En tant qu'acteur et réalisateur de seconde équipe, il a notamment travaillé avec Robert Clouse (Force Five), participé à deux films italiens tournés coup sur coup en Floride (Karate Warrior 2 de Fabrizio De Angelis et Cop Target de Umberto Lenzi), et croisé la route de pas mal d'acteurs appréciés ici (Richard Norton, Benny Urquidez, Gerald Okamura, Ted Prior, Robert Ginty, Charles Napier, Don "the Dragon" Wilson, Eric Lee, Gary Daniels, Malcom McDowell, Robert Z'Dar, Joe Estevez ou encore David Carradine). Il garde un très mauvais souvenir de sa participation à Dans les Griffes du Dragon d'Or, et son témoignage apporte un éclairage assez cru sur les conditions de tournage.

Propos recueillis le 4 février 2014 par John Nada.


 

Comment avez-vous été amené à travailler sur Dans les Griffes du Dragon d'Or ?

J'étais en Floride, je travaillais sur la série Deux Flics à Miami, et j'ai profité d'un break pour aller passer une audition en Californie pour un film d'action produit par Concorde Pictures [Nanarland : la firme de Roger Corman]. Sur place, j'ai fait la rencontre de Jimmy Williams. Jimmy m'a parlé d'un film qu'il avait en préparation, et m'a proposé d'y tenir l'un des rôles principaux, ainsi que le poste de réalisateur de seconde équipe. Je n'avais aucune info sur ce projet, et pas la moindre idée que ça donnerait un film aussi mauvais, mais je lui ai donné mon accord. Quelque temps plus tard, je reprends donc un vol entre la Floride et la Californie, sans scénario entre les mains, j'arrive à l'aéroport et là il y a un vieux type qui vient me chercher, Sandy Palm, et qui m'apprend qu'il joue lui aussi dans le film. Il me fait monter dans une sorte d'épave roulante qui fume de partout, m'annonce qu'il m'emmène aux studios, directement sur les lieux de tournage, et il me tend le scénario pour que je puisse y jeter un oeil, alors que sa vieille bagnole est noyée dans un épais nuage de gaz d'échappement et que je n'y vois absolument rien. Et me voilà donc, à essayer de comprendre de quoi parle le scénario pour ne pas arriver complètement démuni sur le plateau de tournage, et à cause de la fumée j'ai du mal à respirer, et encore plus de mal à distinguer le texte que j'ai sous les yeux. Et je me souviens avoir alors demandé à Sandy "Ok, qu'est-ce qu'on fait quand on arrive, par quoi on commence, qu'est-ce qui est prévu ?" Et lui : "Oh je sais pas, ce sera à toi de voir une fois sur place." C'était l'anarchie, j'avais jamais vu un truc pareil. C'est là que j'ai compris que ça allait être un sacré défi.

 

Comment s'est passé le tournage ?

C'était rude, y avait pas d'argent, une vraie misère. Les conditions de tournage étaient tellement rudimentaires que j'ai dû composer 65 plans avec, en tout et pour tout, une antique caméra qui avait au moins 50 ans. Je me suis efforcé de faire du mieux que je pouvais avec ce que j'avais, et je n'avais pas grand chose, parce que le budget était proche du néant, c'était comme tourner un film amateur. C'est l'épouse de Jimmy, Josephine Williams, qui faisait à manger pour toute l'équipe, et la pauvre était incapable de cuisiner, c'était une catastrophe. En fait je n'avais qu'une envie c'était de me barrer. Une fois sur place, quand j'ai vu la direction que prenaient les choses, je n'avais plus envie de faire ce film, mais je m'étais engagé et je suis quelqu'un qui tient parole, alors je suis resté. Le tournage en Californie s'est poursuivi par intermittence pendant plusieurs mois, et comme en parallèle je continuais à travailler sur d'autres projets en Floride, j'ai enchaîné plusieurs aller-retours pour tout mener de front, ce qui s'est très vite avéré épuisant. Et le pire c'est que je n'ai jamais été défrayé. Jimmy m'avait garanti une part de 35 000 $ sur les recettes, mais je n'en ai jamais vu la couleur, et au final j'en ai été de ma poche pour faire ce film. Je me suis tellement investi sur ce tournage, pour la simple et bonne raison que j'avais mon nom au générique, j'ai bossé littéralement 20 heures par jour pour arriver à boucler ce film pour Jimmy, pour arriver à produire quelque chose de bon à partir de quelque chose de très mauvais. C'était une expérience cauchemardesque, vraiment.

 

Vous êtes également crédité comme chorégraphe des combats. Il y a pas mal de sbires et d'hommes de main dans le film, parmi eux certains semblaient s'y connaître un peu en arts martiaux, d'autres… pas vraiment !

Pour la grande scène de baston à la fin du film, on avait 50 ou 60 types qui devaient s'affronter dans une même séquence. En tant que réal' de seconde équipe, j'ai fait de mon mieux pour qu'on voit un maximum d'entre eux à l'écran, mais c'était un peu perdu d'avance, avec cette énorme caméra qui était plus vieille que mon père, et seulement une nuit de tournage pour tout préparer, régler l'éclairage, chorégraphier les combats etc. Pour réunir tous les combattants dont on avait besoin pour cette scène, on avait organisé une audition, et peut-être 200 lascars se sont pointés au studio. Pas mal d'entre-eux nous ont joué du pipeau, en nous affirmant qu'ils s'y connaissaient en arts martiaux, et il s'est vite avéré qu'ils n'y connaissaient rien. Du coup je me suis focalisé sur les 4 ou 5 gars qui avaient vraiment des compétences martiales, et ça m'a bien aidé parce qu'avec eux c'était plus facile de mettre au point les combats. Il y avait notamment Gerald Okamura, un Asiatique avec qui je me bat et qui me tue dans le film. Je crois qu'il était Maître dans un certain système de kung-fu, c'était quelqu'un d'adorable... mais pas un très bon comédien !

Tommy Bull et Gerald Okamura sur le plateau de "Dans les Griffes du Dragon d'Or" (plus précisément sur le parking à côté des studios Movie Tech, situés à Hollywood).


Il y avait aussi un autre Asiatique, un p'tit freluquet dont j'ai oublié le nom [Nanarland : Daniel Kong]. Dans le film, son personnage est censé être un combattant aguerri, mais dans la vraie vie il ne connaissait rien aux arts martiaux. Qu'est-ce qu'il était mauvais ! A tel point qu'à un moment donné j'ai dû prendre son jeans, l'enfiler sur mes bras, avec une paire de baskets sur mes mains, pour faire croire à l'image que c'était lui qui portait des coups de pieds. C'est vous dire ! Bien sûr nous n'avions que très peu de temps pour tout mettre en boîte, et cette scène de baston générale – qui devait être un climax grandiose dans le scénario – et bien à l'écran elle a l'air minable. Et le pire dans tout ça c'est que Jimmy Williams n'était même pas là, alors que c'était son film ! Et quand il était là, il avait toujours une bouteille d'alcool à la main…

Tommy Bull essaye de faire adopter à Daniel Kong une posture correcte (image tirée d'une vidéo faite pendant le tournage).


La scène telle qu'on la voit dans le film.

Des souvenirs de William Smith et de Robert Z'Dar ?

J'ai fait un autre film avec Robert Z'Dar par la suite, à la Nouvelle-Orléans, ça s'appelait Fatal Pursuit – encore un mauvais film – et dans celui-là j'avais des scènes en commun avec Robert. Ce n'était pas le cas dans Dans les griffes du dragon d'or, où Robert n'avait que quelques scènes de dialogue dans des bureaux, et rien qui ressemble de près ou de loin à une scène d'action. J'ai dû le croiser peut-être une fois dans le studio, c'est tout.

En revanche, William Smith et moi avions de nombreuses scènes en commun, puisque je jouais son bras droit. Un jour on s'est embrouillés et j'ai dû le remettre à sa place. Le truc c'est qu'il buvait pas mal en dehors du plateau. Ce jour-là, j'étais en train de mettre au point une scène de combat entre lui et le petit Asiatique – celui dont je vous disais qu'il ne connaissait rien aux arts martiaux. C'était la dernière scène du film, l'affrontement final entre le gentil et le méchant, devant cette grande statue de Bouddha, à l'issue duquel le petit Asiatique devait tuer William Smith. Le problème c'est que le p'tit Asiat' était catastrophique, et c'est là que je me suis retrouvé à enfiler mes bras dans un jeans, avec des baskets sur les mains, et à donner des coups sur la poitrine de William Smith pour faire croire que l'acteur lui donnait des coups de pieds. C'était tellement ridicule qu'au bout du compte, je me suis dit que le plus simple c'était encore que la grosse statue de Bouddha tombe sur William Smith et le tue avant même le début du combat ! Parce que bon, sinon c'était franchement pas crédible : vous avez un type qui doit faire 30 kilos tout mouillé et ne sait de toute évidence pas se battre, et ce gars-là est censé terrasser cette brute de William Smith, qui a toujours joué les gros durs au cinéma ? Le public n'aurait jamais gobé ça.



Bref, pendant que je réglais cette séquence, William Smith buvait du whisky dans sa caravane, et quand il a débarqué sur le plateau, il était soûl. Le caméraman et moi étions en train de composer un plan, et Smith se tenait dans le champs de la caméra, nous bloquant la vue, et il avait l'air de mauvaise humeur. Je lui ai dit "Ecoute, j'essaye de faire mon boulot" et il est parti au quart de tour, "Qu'est-ce qu'il y a, t'as un problème !?", et il a commencé à s'énerver et à me traiter de noms d'oiseaux. J'ai tout arrêté et je lui ai dit "Bouge ton cul et suis moi dehors, tout de suite", et une fois dehors je lui ai dit "Si jamais tu me reparles sur ce ton, je t'éclate la tronche". Il s'est lentement incliné devant moi, en titubant un peu, je lui ai dit de retourner sur le plateau et de faire son putain de boulot, et c'est ce qu'il a fait. Après ça je me suis très bien entendu avec lui.

Tommy (au centre), réalisateur de seconde équipe sur "For Life or Death" (1996), avec Richard Norton (absent sur cette photo) et Gerald Okamura.


Au générique de Dans les Griffes du Dragon d'Or, on retrouve Jimmy Williams à quasiment tous les postes : réalisation, production, interprétation, scénario, montage, direction artistique etc. En fait on a parfois le sentiment que ce film n'est qu'une vaste entreprise égocentrique, conçue entièrement à sa gloire. Quelle est votre opinion à ce sujet ?


Vous venez de mettre dans le mille en disant ça ! Jimmy Williams a fait exactement ce qu'il a voulu, comme il l'a voulu, dans le seul but de devenir une star. Bien entendu, quand il m'a proposé de bosser avec lui, je ne me doutais de rien. Pour financer leur film, Jimmy Williams et Sandy Palm ont baratiné un riche docteur – ils lui ont raconté qu'ils étaient cinéastes, qu'ils étaient en train de monter un super projet etc. Je crois qu'au départ ils ont obtenu de lui 75 000 dollars, de quoi démarrer le tournage. Combien ils lui ont soutiré par la suite, je n'en ai aucune idée : ils n'en parlaient jamais avec moi et eux seuls doivent connaître le budget global du film. Jimmy Williams n'avait pas la moindre idée quant à la façon de faire un film, ni le moindre talent d'ailleurs, mais il désirait néanmoins percer dans l'industrie du cinéma. Ce n'était pas un bon comédien, ni lui ni Sandy Palm, et ils connaissaient que dalle au cinéma d'action. Ils naviguaient à vue, sans avoir la moindre idée de ce qu'ils faisaient. La seule chose qu'ils savaient avec certitude à mon avis, c'est que le docteur qui avait investi de l'argent dans ce film ne reverrait jamais son fric. Mais ça Jimmy s'en fichait ! Il voulait juste percer comme acteur, se faire un nom, il avait l'égo nécessaire pour ça, mais bien sûr rien de tout ça n'est arrivé, tout ce qui s'est passé au final c'est que le docteur a perdu de l'argent, parce que je suis persuadé qu'il n'a jamais récupéré sa mise. C'est vraiment un truc qui me débecte à Hollywood, tous ces types qui se prennent pour des cinéastes, qui prennent de l'argent à des gens, et puis qui font leur film sans se soucier de l'intérêt des investisseurs. A ce niveau-là, le tournage de Dans les Griffes du Dragon d'Or m'a vraiment servi de leçon. J'étais écoeuré par l'insouciance et le manque de professionnalisme de Jimmy Williams, et depuis cette mauvaise expérience j'ai appliqué cette règle d'or dans ma carrière : quand un investisseur avec qui je travaille me confie son argent, mon boulot c'est de protéger cet argent et de travailler au maximum de mes compétences pour m'assurer qu'il réalise un profit. C'est une question d'honneur.

Tommy Bull et Bill Mills en train de tourner des plans qui seront utilisés pour la séquence d'intro du film.


Le résultat dans le film, avec Tommy Bull qui effectue des katas en ombres chinoises pendant que les crédits défilent à l'écran.

- Interview menée par John Nada -