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Peter Palian

(1ère publication de cette bio : 2021)

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Au fil des ans, Nanarland a dressé le portrait de dizaines et dizaines d’actrices, acteurs, réalisateurs, producteurs et… d’un seul chef opérateur (Roger Fellous). Ils seront deux désormais, avec cette modeste bio consacrée à Peter Palian.

« Hein, qui ça vous dites ? Encore un vieux type au nom obscur dont tout le monde se fiche ? Mais qu’a t-il donc accompli pour qu’on s’intéresse ainsi à lui ? » vous demanderez vous peut-être. Pour vous la faire courte, Palian a été le caméraman attitré du Chah d'Iran, voyageant et filmant les leaders du monde entier avant de fuir son pays lors de la révolution islamique de 1979. Exilé aux Etats-Unis, ses contacts avec les diasporas arménienne et iranienne vont lui permettre de travailler sur tout une flopée de nanars, dont les tapageurs et désormais cultissimes Samurai Cop et Dangerous Men.


« Biographie de Peter Palian, chef-opérateur iranien de 89 ans », sérieux candidat au concours de titre le moins putaclic de l’année.

Petros Palian (son vrai nom, mais il est parfois crédité Petrus ou Petik) est né à Téhéran, capitale de l’Iran, le 1er mai 1931, au sein d’une famille d’origine arménienne de classe moyenne. Son père décède alors qu’il n’a encore que trois ans et sa mère travaille dur pour faire vivre le foyer. Pour beaucoup, le cinéma offre une échappatoire au quotidien. Pour Palian, le terme d'usine à rêves prend tout son sens. « Autant que je me souvienne, les films m’ont toujours fasciné ». Le jeune Petros s’enthousiasme pour Zorro, King Kong et Robin des bois. Les westerns avec des cowboys chantants comme Tom Mix, Gene Autry, Roy Rogers, puis plus tard John Wayne. Il veut danser comme Fred Astaire, Gene Kelly. Il tombe successivement amoureux de Greta Garbo, Hedy Lamarr, Ginger Rogers, Ingrid Bergman, Lauren Bacall, Vivien Leigh, Avar Gardner, Rita Hayworth. Il voit en Frank Lawton, Douglas Fairbanks, Rudolph Valentino, James Cagney, Edward G. Robinson, John Garfield ou encore Humphrey Bogart autant de modèles et de pères de substitution. Les idoles du jeune Palian sont celles de l’âge d’or de Hollywood. Très tôt, il décide de faire du 7ème art son métier, avec un plan de carrière déjà tout tracé dans sa jeune tête : après le lycée, il ira en Amérique pour y intégrer une école de cinéma et apprendre à faire des films !

...et quels films !

Bien sûr sa mère n’en a pas les moyens, alors pour financer le voyage et ses études, sitôt son bac en poche, Petros part dans le désert de Kavir, au nord de l'Iran, pour y travailler dans une mine de soufre. Les mineurs s’y comptent par centaines, essentiellement des repris de justice « à qui l’on a donné une seconde chance ». Un travail éreintant, mais qui paye bien selon Petros. Il lui faudra néanmoins un an et demi pour amasser le pécule nécessaire à son projet. De retour à Téhéran, alors qu’il est prêt à s’expatrier, survient ce que Petros qualifiera plus tard de « plus grand tournant de [s]on existence ».

Alafha-ye harz / Weeds (1976)

A l’initiative de Mehrdad Pahlbod, beau-frère du Chah d’Iran, le Ministère de la Culture iranien vient de mettre en place un programme scolaire expérimental, en partenariat avec l’Université américaine de Syracuse, qui comprend un cursus complet en cinéma. Petros en a vent en tombant par hasard sur une annonce dans un journal. « Nous étions environ 600 candidats à postuler pour une quarantaine de places, et j’ai été pris. J’ai eu tellement de chance. Rendez-vous compte : je voulais aller étudier dans une université américaine, et c’est une université américaine qui est venue à moi, en Iran ! C’était inespéré. » Le népotisme est alors très présent dans le pays. Palian a t-il pu suivre ce cursus très sélectif sur la foi de ses seules performances scolaires, ou bien grâce aux relations que sa famille aurait pu entretenir avec le pouvoir en place ? Nous ne le savons pas, mais toujours est-il que pendant trois ans il va suivre des études en cinéma de haut niveau, sous l'enseignement d’une demi-douzaine de professeurs de la prestigieuse université new-yorkaise.

Charlotte be bazarche miayad (1977)

Ecriture, mise en scène, montage : Petros apprend tous les aspects de l’élaboration d’un film, avant de se spécialiser dans la prise de vues. « Je n’ai jamais trop aimé l’école, mais là je peux vous dire que j’étais motivé comme jamais. » Une motivation à toute épreuve et un sens de la filouterie qui vont pousser Petros à mentir sur son nom ! En effet les élèves sont disposés en classe par ordre alphabétique, ceux dont les noms commencent par ABC étant assis au premier rang. Palian, qui ne veut pas être au fond de la classe, affirme que son nom est en réalité « Balian ». Le subterfuge va lui permettre de suivre tous les cours aux première loges… jusqu’à la remise des diplômes. « Le jour de la remise, j’ai dû aller voir mon professeur et le supplier de mettre « Palian » sur mon diplôme. « Quoi ? Tu veux à nouveau changer ton nom ?? » Quand je lui ai expliqué pourquoi j’avais menti, il a bien rigolé. »

The Condemned / In Grouhe Mahkoomin (1977)

Son diplôme en poche, Palian est immédiatement employé par le Ministère de la Culture iranien, pour le compte duquel il va réaliser des films éducatifs et institutionnels à travers tout le pays. En parallèle, il commence à travailler dès le milieu des années 1950 sur des courts et des longs-métrages. Il est notamment directeur photo sur Flaming Poppies, un court-métrage réalisé par Hushang Shafti qui remporte l’Ours d’argent au Festival de Berlin en 1963 (c'est d'ailleurs le premier film iranien à connaître les honneurs d'une projection officielle hors de ses frontières). L’année suivante, en 1964, son travail sur L’Aurore du Capricorne est récompensé à Cannes, ce court-métrage de Ahmad Faroughy Kadjar remportant le Prix de la Commission Supérieure Technique. Même si on est loin d’une palme d’or, il s’agit mine de rien de la toute première oeuvre iranienne à être primée à Cannes, ce qui en fait un vrai succès de prestige pour Palian et ses collègues.


C’est Petros Palian également qui assure les prises de vues du satirique Night of the Hunchback (Shabe ghuzi). Librement adapté d’un conte des 1001 nuits, ce film de Farokh Ghafari sorti en 1965 suit les mésaventures d’une troupe de théâtre itinérante, qui s’efforce de se débarrasser du cadavre d’un des leurs, mort de façon absurde. Un concentré d’humour noir, au ton résolument moderne pour l’époque, qui est encore considéré aujourd’hui comme un classique du cinéma iranien.

Siyavosh at Persepolis, film d’avant-garde influencé par la Nouvelle Vague, tourné sans artifice dans la mythique cité vieille de 3000 ans.

Suivront encore un Léopard de bronze au Festival de Locarno pour Siyavosh at Persepolis, tourné dans les ruines de la capitale de l’empire perse achéménide, et un SEPAS (les Oscars iraniens) du meilleur directeur photo en 1972 pour An Esfahani in New York, une comédie populaire qui narre les tribulations d’un Iranien dans la Grosse Pomme, et sur laquelle Palian est également crédité comme producteur.

An Esfahani in New York (1972).

En 1972, Palian (troisième en partant de la gauche) remporte l'Oscar iranien du meilleur directeur photo en 1972.

Cette carrière au cinéma, aussi remplie soit-elle, n’est qu’une facette du travail de Petros Palian. Car en parallèle, il est assigné comme photographe et cinéaste au service personnel de Mohammad Reza Pahlavi, le Chah d’Iran, et de la famille royale. Il conserve un souvenir marquant de sa première mission. Nous sommes en 1957, Palian n’a encore que 26 ans. Ce jour-là, le Chah reçoit dans son palais des fermiers pauvres à qui il veut distribuer des terres, qu’il a rachetées pour moderniser le pays. Chargé avec d’autres d’immortaliser l’évènement, Palian se souvient comment il s’est approché tout près du Chah et, avec le souci de bien faire son travail, s’est mis à fouiller dans sa poche avant de dégainer… son luxmètre. Immédiatement mis en joue par les gardes-corps du monarque, Palian raconte comment il s’est alors soudain figé, n’osant plus respirer, avant de finalement supplier d’une petite voix « ne tirez pas, c’est juste un outil pour mesurer l’intensité de la lumière ».


Mohammad Reza Chah Pahlavi, son épouse Farah... et Petros Palian, jamais très loin.

« J’étais encore tellement naïf… Mon tout premier jour au service du Chah a bien failli être le dernier de ma vie ! ». Durant les sept années qui vont suivre, Palian va être chargé de documenter tous les aspects officiels de la famille royale, accompagnant le Chah et son épouse Farah lors de leurs déplacements en Iran et à l’étranger, que ce soit lors de déplacements officiels ou de vacances privées. Il voyage ainsi aux quatre coins du monde, assiste à plusieurs rencontres et évènements historiques, filme et photographie de nombreux dignitaires, des célébrités, et surtout tous les plus hauts dirigeants de l’époque : les Présidents américains Dwight Einsenhower et Lyndon Johnson, la reine Elisabeth II d’Angleterre, Léonid Brejnev, Charles de Gaulle, Nehru, Konrad Adenauer…




Petros, toujours accompagné de sa caméra (sa « lampe magique » comme il l’appelle, « habitée par un précieux génie ».)

Petros Palian est un privilégié et il le sait, conscient d’exercer un métier qu’il aime et lui permet de voyager en permanence, conscient aussi d’être dans les bonnes grâces d’un régime autocratique mais dont il assume être un fidèle. « Je vivais comme un prince, à faire le tour du monde avec le Chah. Dans chaque pays visité, j’avais droit aux meilleurs restaurants, aux meilleurs hôtels… ». Après sept ans de bons et loyaux services, il va pourtant quitter cette vie facile pour tenter sa chance en Amérique. « Je suis allé aux Etats-Unis avec un visa de touriste valable un mois. Officiellement je n’y allais pas pour travailler, mais secrètement j’espérais toujours réaliser mon rêve d’y intégrer l’industrie du cinéma. »

La pipe à la main devant la Tsar Kolokol, au Kremlin.

Au service du Chah, Petros est à la table des grands de ce monde. Plus tard, il mangera des sandwichs avec Matt Hannon.

A New York, Petros est sous le charme, mais les jours passent et personne ne veut l’embaucher. « C’était très compliqué. Déjà parce qu’il fallait être syndiqué – aucun technicien ne pouvait travailler autrement – mais surtout parce qu’il fallait avant toute chose un permis de travail. J’ai sollicité les services d’un avocat, je lui ai montré les prix que mes films avaient remporté dans des festivals, mais il m’a dit que ça ne servait à rien : pour obtenir une green card j’avais besoin d’une offre d’embauche d’un producteur. Mais à New York je ne connaissais aucun producteur ! ». Heureusement pour Petros, son réseau arménouche va lui sauver la mise.

Alors que son visa de touriste arrive à expiration et qu’il traîne son spleen dans Central Park, il tombe nez à nez sur son ami l’artiste et galériste Marcos Grigorian, irano-arménien comme lui. « Central Park était noir de monde, à cette heure il y avait littéralement des milliers de personnes, je marchais tête basse et on s’est rentrés dedans. Quelle était la probabilité pour que ça arrive ? J’ai encore eu une chance inouïe. » Marcos Grigorian lui propose de s’installer dans son studio de Manhattan, quartier où Petros va faire par hasard la connaissance d’un caméraman américain d’origine russo-arménienne, Victor Petroshevich (qui semble avoir essentiellement oeuvré sur des films de sexploitation horrifico-psychédéliques), qui accepte de le présenter à un petit producteur d'origine italienne, Gabe Sicali. « On avait rendez-vous au 1916 sur Broadway Avenue, quand je me suis présenté devant lui le producteur était assis derrière un énorme bureau, j’étais vraiment dans mes petits souliers, et lui m’a juste dit : « T’as besoin d’un contrat, c’est ça ? Va voir ma secrétaire et dicte-lui ce qui t’arrange ». Je me suis fait faire un contrat de complaisance d’un an, au tarif de 125$ par jour – le tarif alors en vigueur pour un caméraman. En partant le producteur m’a rappelé : « Hey kid, tu travailles en ce moment ? » « Non Monsieur. » « Alors laisse ton numéro de téléphone à la secrétaire, on t’appellera si on a du boulot ».

A compter de ce jour commence une nouvelle facette de la carrière de Petros – qui se fait désormais appeler Peter – puisqu’il va se retrouver à bosser sur un paquet de films d’exploitation en langue espagnole ! Gabe Sicali, le producteur de Haven International à qui il a laissé son contact, travaille en effet avec d’autres producteurs d’Argentine et du Mexique à qui il fournit un service très spécifique : tourner une partie ou l’intégralité de leurs films à New York, pour donner un cachet international et prestigieux à leurs productions. Pour les spectateurs latinos, voir leur idoles déambuler dans Manhattan et ses grandes avenues bordées de gratte-ciels, c’est la classe, mais tourner aux Etats-Unis coûte cher, les contraintes bureaucratiques sont nombreuses, et il y a la barrière de la langue. Or, étant citoyens américains, les techniciens portoricains présentaient l'avantage de pouvoir tourner légalement aux Etats-Unis, de parler espagnol, et de ne pas coûter trop cher non plus. Bingo ! Aussi pointu soit-il, ce créneau de niche porte un nom : les « Nuyorican Films », soit des films tournés à New York par des équipes portoricaines, le plus souvent pour le compte de producteurs d’Amérique latine, essentiellement du milieu des années 60 au milieu des années 70.

Las Pecadoras / The Sinners (1968) du mexicain Alfonso Corona Blake, par ailleurs réalisateur de Superman contre les femmes vampires (1962), un des rares films du catcheur Santo à être sorti en France.


Palian n’est pas portoricain, mais les chefs-op’ compétents et pas chers ne sont pas non plus légion à New York. Il a fait le choix d’adhérer à un modeste syndicat de techniciens (N.A.B.E.T.), qui lui permet de travailler à la fois comme directeur photo et opérateur caméra, contrairement aux principaux syndicats, comme I.A.T.S.E., qui interdisaient de faire les deux sur un même film. Peter veut pouvoir à la fois s’occuper des lumières et tenir la caméra, comme il l’a toujours fait en Iran. Il va pouvoir s’y employer sur toute une tripotée de nudies, drames historiques, de rape-and-revenge, et de piteux avatars de lucha libre mettant en vedette d’obscurs catcheurs ventripotents.

« C'était un petit milieu, je me suis vite fait un réseau. De fil en aiguille j'ai aussi travaillé pour Azteca Films, le plus grand studio mexicain public de l'époque, également pour Columbia Pictures qui avait une branche produisant des fims en espagnol. Au début ils m'appelaient seulement quand ils avaient des scènes à tourner à New York, mais ensuite ils ont commencé à m'envoyer tourner au Mexique, à Porto Rico, aux Bahamas, en Jamaïque, dans les Îles Vierges, en Colombie... J'étais évidemment ravi de pouvoir voyager, surtout qu'on tournait généralement l'hiver, parce qu'il y fait doux, ce qui me permettait de fuir le glacial climat new-yorkais ! ».

Ces films, qui n’étaient pas destinés au marché américain – ou seulement à son public hispanophone – restent extrêmement mal référencés. Titulaire d’un Doctorat et spécialiste des cinématographies d’Amérique latine, David E. Wilt estime à au moins une centaine ces productions Nuyorican, dont seulement une poignée sont visibles aujourd’hui, la plupart grâce aux micro-éditeurs (aujourd’hui disparus) Miracle Pictures et EastWestDVD. Beaucoup de films sont considérés comme définitivement perdus, car les rares copies existantes étaient en possession de petites structures qui ont depuis longtemps mis la clef sous la porte.

Il circule même une histoire de film ruiné par la faute de Peter Palian lui-même, qui aurait confisqué les rushes en plein montage car il n'avait pas été payé pour son travail ! C’est un certain Johnny H (Haemmerle) alias Jesse Presley, vedette supposée de ce film mort en post-prod’, qui l’affirme sur sa page MySpace : « Tecato [du cinéaste Glauco Del Mar] a été volé sous le coup de la colère par le caméraman Peter Palian, qui était en charge du montage aux Haverland Film Studios, à New York, et était furieux de ne pas avoir encore été payé. » L’intéressé nous a déclaré se souvenir de Johnny Haemmerle (qui a joué aussi dans La Tigresa, filmé par Palian), du studio de Laszlo Haverland où se faisait souvent le montage et toute la partie son, mais pas de cette histoire de film perdu… Mémoire sélective ou rumeur infondée ? Mystère.

Le gratiné et ultra-bis Love After Death alias Unsatisfied Love (1968) de Glauco Del Mar, photographié et co-monté par Peter Palian. Le film a été exhumé par le puriste Frank Henenlotter chez Something Weird Video.

Pour Peter, même si ce n’est pas (encore) Hollywood, il vit un peu son rêve américain. En tout cas, il s’amuse et a le sentiment que son travail est apprécié. Il faut dire que sa flexibilité et son sens de la débrouille made in Iran font merveille. « C’est un métier où on expérimente et où on apprend en permanence, notamment parce qu’il faut s’adapter au contraintes de temps et de matériel. ». Comment bricoler un effet zoom quand on n’a pas de zoom ? En utilisant toutes les lentilles qu’on a sous la main pour jouer sur la distance focale. Comment réaliser un travelling dans une cuisine quand on n’a ni rails, ni chariot ? En s’allongeant sur une couverture tirée par un technicien…

La trépidante histoire de trois soeurs de bonne famille qui vont faire du shopping à New York, claquent tout leur pognon, et se retrouvent à devoir danser lascivement dans des cabarets interlopes pour rembourser leur dette auprès de la pègre locale.

A ce titre, quand Peter Palian et Victor Petroshevich travaillent sur Round Trip (1967) – oeuvre de fiction que Pierre-Dominique Gaisseau, documentariste Français oscarisé, vient tourner à New York – leurs méthodes pour tourner en cachette dans Manhattan marquent les esprits. Le comédien Venantino Venantini, acteur principal du film, louait ainsi dans son autobiographie l’efficacité et la débrouillardise du duo :

« Pour Round Trip, le directeur de la photo avait imaginé des travellings inédits. Par exemple, pour les tournages en dehors des studios et pour remplacer les rails, il avait installé une caméra dans une charrette à hot dogs. Un trou avait été percé pour laisser passer l’objectif ; le cameraman se lovait derrière la charrette et le tour été joué. En France je n’ai connu qu’une seule personne aussi astucieuse, c’était Maurice Fellous, l’un des bras droits de Georges Lautner. » [Venantino Venantini, dans Le Dernier des tontons flingueurs]

Venantino Venantini (au centre), vu dans Les Tontons flingueurs, Le Corniaud, La Cage aux folles et La Folie des grandeurs… mais aussi dans de somptueux nanars comme Les Nouveaux barbares, Le Führer en folie, La Guerre des robots, L’Humanoïde ou encore Les Aventures d'Hercule.

En 1970, alors qu’il rentre en Iran pour y rendre visite à sa famille, Palian est contacté par un producteur local. Depuis son départ, quelques productions étrangères sont venues tourner en Iran, comme le Opération Opium de Terence Young en 1966 (avec Yul Brynner, Rita Hayworth, Marcello Mastroianni…). Alors qu’il pensait passer quelques jours de vacances auprès des siens, Peter se retrouve réquisitionné comme caméraman sur Les héros de Yucca (1970), co-production américaine mise en scène par Jean Negulesco. « Comme je parlais correctement anglais mais avec un fort accent persan, le réalisateur a eu l’idée de m’embaucher pour faire de la post-synchronisation. J’ai été invité dans un studio de Londres pour doubler en anglais les figurants et petits rôles qui avaient tourné leurs scènes en Farsi. C’était amusant, j’ai pu visiter Londres et évidemment j’étais payé par dessus le marché ! ».

Les héros de Yucca alias Les 6 invincibles (1970), production "internationale" (enfin bon... avec James Mitchum, fils de Robert et frère de Chris, ne nous emballons pas non plus !) tournée en Iran.

A compter de cette expérience, Peter comprend qu’il peut à la fois travailler à New York et en Iran, ce qu’il va faire les années suivantes. Il intercale ainsi une comédie iranienne pouet-pouet entre deux drames mexicains crapoteux, ou quelques plans d’un sous-Santo portoricain entre deux films d’auteur iranien. Pas banal quand même.

La jaquette bien cheapos de Ye Yo (1976), biopic consacré au criminel et fugitif Rogelio "Ye Yo" Sotomayor dans le New York des années 1960.

Mais pour Palian, point de routine. La « routourne tourne », comme dirait le footballeur Franck Ribéry. En Iran, le Chah, de plus en plus critiqué, fait face à un début de soulèvement populaire qui tourne bientôt à la révolution. 1978 voit une montée importante de la contestation, avec de nombreuses manifestations réprimées dans le sang et un effondrement de l’économie. Renversé par les fondamentalistes chiites inspirés par l'ayatollah Khomeini, la famille royale s’exile en janvier 1979 et l’Iran devient une république islamique. Au milieu du chaos, Palian parvient à prendre un vol pour New York. Trois jours seulement après son départ, l’aéroport de Téhéran est fermé, les avions cloués sur le tarmac. Parce qu’il est associé à la dynastie Pahlavi, le nom de Petros Palian est placé sur liste noire par les Gardiens de la Révolution. Le technicien est contraint de rester en exil pour échapper à la prison, voire à une exécution sommaire. Il ne reverra plus sa Perse natale, dans laquelle il reste à ce jour persona non grata.

Contrairement à ce que laisse entendre son titre hautement ironique, Made in Iran (1978) a été entièrement tourné à New York. Il fut évidemment interdit de projection en Iran.

A New York le filon des productions en langue espagnole s’est tari, Peter ne peut plus travailler en Iran, et il n’a aucun contact au sein des grands studios. Heureusement, ses liens avec les communautés arménienne et iranienne vont lui permettre de continuer à bosser. On le retrouve ainsi chef opérateur sur des titres comme Made in Iran (1978), une histoire de boxeur tenu par la pègre mise en scène par son compatriote Amir Naderi (oeuvre mineure d’un cinéaste aujourd’hui « reconnu », et qui a notamment fait l’objet d’une importante rétrospective au Centre Pompidou en 2018), le navet The Fox Affair (1978) d’un certain Fereidun G. Jorjani, iranien d'origine lui aussi, ou encore Assignment Berlin (1982) de Hrayr Toukhanian, un drame historico-judiciaire à tout petit budget prenant comme toile de fond le génocide du peuple arménien dans l’Empire Ottoman. Peter Palian, on peut le dire, oeuvre désormais dans un cinéma quasi-communautaire.


Même si niveau boulot ça ne semble pas folichon, Palian se serait bien vu rester à New York, sa ville d’adoption, où il vit et travaille régulièrement depuis maintenant 25 ans. Il va pourtant céder devant l’insistance de ses proches – notamment sa mère et sa soeur, exilées comme lui – qui le pressent de les rejoindre sur la côte Ouest. En 1985, il quitte donc Manhattan pour aller s’installer à Glendale, comté de Los Angeles, au coeur de la communauté arméno-américaine (le Grand Los Angeles compte plus de 200 000 arméno-américains, très présents notamment dans le quartier de Little Armenia, dans le secteur Est de Hollywood, et à Glendale). Les motivations de ce déménagement sont purement familiales, mais vont marquer le début d’une nouvelle période dans la carrière de Palian. A Los Angeles il va en effet croiser une vieille connaissance : son compatriote Amir Hosein Ghaffar, alias Amir Shervan.

Amir Shervan et Petros Palian : The Persian Connection !

Shervan est de la même génération que Palian. Comme lui, c’est une figure bien établie du cinéma en Iran, où il a déjà produit et réalisé de nombreux films [dont un sur lequel a travaillé Peter, qui nous a dit en avoir oublié le titre]. Si Shervan n’est pas mouillé avec la monarchie du Chah, la révolution de 1979 va néanmoins le pousser à l’exil lui aussi. Jusqu’alors, Shervan s’épanouissait en effet dans un registre populaire, signant des films d’action, d’aventure, des thrillers, bref du pur cinéma bis riche en castagne et en p’tites pépées dénudées. Autant de Filmfarsi que la censure implacable exercée par le régime des mollahs, garants rigoureux d’une morale hyper religieuse et anti-occidentale, allait soudain rendre impossible à produire. Shervan tourne son dernier film iranien en 1980, connaît un hiatus forcé de plusieurs années et, une fois installé en Californie, se remet en selle en 1987 avec le réjouissant Hollywood Cop.

Hollywood Cop : de la justice de flic à la persanne.

Pour Palian, c’est le début d’une belle collaboration puisqu’il va dès lors occuper le poste de directeur photo sur tous les films tournés par Shervan aux Etats-Unis : Hollywood Cop donc, mais aussi Killing American Style (1988), Young Rebels (1989), Gypsy (1990)… Des titres reprenant peu ou prou la même formule, alors en vogue, du polar d’action testostéroné. Héros aux gros biscottos, voitures aux pneus qui crissent, gunfights et explosions toutes les 5 minutes, bimbos les seins à l’air : le cocktail a déjà été vu mille fois, mais quand c’est Amir Shervan qui est au shaker, le résultat a toujours ce supplément de maladresse et de générosité qui le rend immédiatement sympathique. Ce style, à la fois interchangeable et unique, culminera avec l’inégalable Samurai Cop (1991), avatar dégénéré de L’Arme fatale vénéré par tout nanarophile qui se respecte.



Précisons que le travail de Palian sur ces films ne contribue en rien à leur nanardise. Au contraire, si l’on songe aux contraintes d’un tournage guérilla qui ne devait guère lui laisser beaucoup de temps pour préparer ses plans, les prises de vues sont plus que correctes dans l’ensemble, et contribuent même à conférer une certaine crédibilité à des films parfaitement crétins. « Sur Samourai Cop, on avait un van avec un panneau en bois muni d’une petite trape pour y glisser la caméra. Grâce à ça, on a pu filmer des plans de Los Angeles en cachette, avec les gens qui marchaient dans les rues sans se douter de rien ! » Notons aussi que Palian, sans être quelqu’un de très sophistiqué, ne semble pas se leurrer sur la « qualité » des films tournés pour Shervan. Pour lui c’est un boulot alimentaire, et de toutes façons il n’a pas mieux, donc il ne lui viendrait jamais à l’idée de s’en plaindre.

Il fallait bien toutes les années d'expérience et le talent de Palian pour sanctifier une déco pareille.

« Quelles que soient les faiblesses du scénario ou la maigreur du budget, j'ai toujours donné le maximum pour tirer ces films vers le haut. En Iran, j'ai tourné beaucoup de bandes d'actualités, souvent sans trépied car il fallait aller vite. A l'époque, les caméras vidéo légères n'existaient pas, on tournait sur pellicule avec de lourdes Arriflex et il fallait rester parfaitement immobile pour que le plan soit réussi. Avec le temps, j'ai en quelque sorte appris à faire de mon corps un trépied. Plus tard, cet entraînement s'est avéré précieux quand j'ai tourné tous ces films à petit budget. Le temps et l'argent étaient comptés. Chaque plan devait être mis en boîte en une ou deux prises maximum. »

Une photo prise le 31 mai 2013 au Nuart Theatre de Los Angeles, à l'occasion de la projection du fantabuleux Samurai Cop. De gauche à droite : Peter Palian, Jimmy Williams, Douglas Dunning (le responsable acquisitions de Cinema Epoch, qui distribue le film), Gerald Okamura et Mark Frazer.

Loin de son pays d’origine et des fastes du Chah, Palian passe ainsi de bonnes années à oeuvrer dans la série B voire le nanar pur et dur, au gré des opportunités professionnelles certes limitées d’un réseau communautaire endogène, mais où ses compétences et sa bonne humeur semblent unanimement appréciées. C’est encore cette improbable « Persian Connection » qui va l’amener à assurer les prises de vues du film le plus démentiel de sa carrière : Dangerous Men.

« C’est le film le plus étrange que j’ai jamais tourné. » (Peter Palian)

C’est en effet Amir Shervan qui introduit Peter auprès d’un certain Jahangir Salehi, alias John S. Rad, un architecte iranien installé à Los Angeles qui s’est mis en tête de faire du cinéma. Dangerous Men sera l’oeuvre de sa vie : John Rad écrit, produit, réalise, compose et chante, investissant son énergie et ses économies dans un film qui mettra près de 30 ans à voir le jour et ne lui apportera que des moqueries.

« Avec sa narration en coq-à-l’âne, ses ellipses incompréhensibles, sa musique systématiquement inappropriée, son montage brutal, ses personnages sortant de nulle part et sa conclusion défiant toute analyse, Dangerous Men pourrait être le Mulholland Drive du polar d’exploitation des années 1980 dans un univers parallèle où tout le monde serait saoul en permanence. » [extrait du programme de la Nuit Nanarland 2, en 2017, rédigé par François Kahn]

John Rad, réalisateur de « Farsi attrape » malgré lui, assurant la promo de Dangerous Men.

Avec un tournage débuté dans les années 1980, une post-production laborieusement bouclée vers le milieu des années 1990, Dangerous Men ne sera finalement projeté qu’en 2005, quand John Rad décide de louer à grands frais quatre écrans de la région de Los Angeles. A sa grande incompréhension, son film ne récolte que les quolibets des rares spectateurs présents. John Rad meurt en 2007 et Dangerous Men sombre dans l’oubli, avant d’être exhumé en 2015 par les méritants défricheurs de chez Drafthouse Films (à qui l’on doit aussi le dépoussiérage du grandiose Miami Connection). Si le scénario, incohérent au possible, laisse toujours aussi merveilleusement perplexe, Peter Palian nous a apporté quelques éléments de réponses quant aux méthodes de tournage.

« John Rad, comme Amir Shervan, ne pouvait pas travailler avec des caméramans américains. Il voulait travailler à l’iranienne. Les Américains ont des habitudes et des méthodes de travail différentes, de par leur style, leur timing… Les Iraniens se moquent des horaires, s’il faut travailler une ou deux heures supplémentaires ils le font. Alors que les techniciens américains, eux, notent scrupuleusement leurs heures et il faut les payer en conséquence. John Rad voulait parfois tourner à la sauvette dans les rues. Les cameramen américains refusent de faire ça, il faut des autorisations. Moi je tournais sans autorisation depuis la voiture. C’était comme ça, c’était différent. »

En 1991, on trouve encore Peter comme caméraman sur le très mélo Look at Me, America alias Gang Justice (1991), un film avec Erik Estrada réalisé par Woo-sang Park (auteur de l’inoubliable Miami Connection) et produit par Simon et Moshe Bibiyan (deux frères d’origine arménienne, déjà producteurs de Hollywood Cop : on évolue toujours dans une sorte de réseau parallèle nanar en vase clos !). En 2015, Peter Palian est également crédité comme chef op’ au générique du navet Samurai Cop 2: Deadly Vengeance, mais il ne faut pas se leurrer : il s’agit d’un crédit purement honorifique. Au moment du tournage, Palian accuse déjà 84 ans au compteur, et il est surtout affecté par de graves problèmes de vue qui l’ont rendu presque aveugle.


Nous avons eu la chance de rencontrer Peter Palian chez lui, en mars 2018, pour le tournage d’un épisode de Nanaroscope. Une personne adorable, hyper-positive, aimant rire de tout et refusant obstinément de se plaindre malgré sa cécité, parce qu’il estime avoir eu la chance de vivre une vie bien remplie. Rien que son appartement valait le détour, avec ses murs couverts de photos et d’affiches retraçant son parcours improbable : d’un côté des photos de grandes figures politiques dans un noir et blanc sobre et distingué, intemporel ; de l’autre des affiches de nanars aux couleurs outrageusement criardes, avec titres tapageurs, grosses pétoires, bimbos en bikini et gros costauds à mullette.

Un contraste extrême, un grand écart vandammien, à l’image de sa carrière. Qui d’autre au monde pourrait se vanter d’avoir filmé les chefs d’Etat et têtes couronnées des plus grandes nations, témoin privilégié de l’Histoire avec un grand H, avant d’imprimer sur pellicule, avec la même minutie, la même passion pour son métier, des tronches de bisseux comme Cameron Mitchell, Robert Z'Dar, Gerald Okamura ou le chevelu Matt Hannon, dans des nanars pas possibles ? Personne d’autre, évidemment.

« J’ai un peu honte vis-à-vis des gens qui n’aiment pas leur métier, et doivent malgré eux travailler 8 heures par jour à faire quelque chose qu’ils n’aiment pas. Parce que j’ai eu la chance inouïe d’exercer un métier qui me plaisait énormément. Même sur des films à très petit budget j’avais du plaisir à travailler. L’équipe technique était très réduite, on était comme une petite famille, il fallait être créatif et débrouillard. Je m’amusais bien, et j’étais payé par dessus le marché ! »


Peter Palian a fait paraître une autobiographie, publiée en langue Farsi en 2018, et espère pouvoir la faire éditer en anglais sous le titre I Shot The Shah (jeu de mot signifiant à la fois « j’ai filmé le Chah » et « j’ai flingué le Chah »). Cette biographie a pu être réalisée en partie grâce à une traduction partielle de cet ouvrage. Nous remercions aussi chaleureusement Saro Arakelian et surtout Eduard Akopian, qui a pris le temps de nous scanner de nombreuses photos et documents, et nous a aidé à établir une filmographie de Peter la plus complète possible.

 

- John Nada -

Films chroniqués

Filmographie

Cette filmographie, bien que patiemment mise à jour grâce aux indications de Petros, demeure sans doute incomplète. Petros y est généralement crédité comme Directeur de la photographie, plus rarement comme Opérateur caméra.


2015 - Samurai Cop 2: Deadly Vengeance

2005 - Dangerous Men

1997 - Bitterland

1991 - Look at Me, America / Gang Justice

1991 - Samurai Cop

1990 - Gypsy

1989 - Young Rebels

1988 - American Murder (Killing American Style)

1987 - Hollywood Cop

1982 - Assignment Berlin

1978 - Made in Iran (Sakhte Iran)

1978 - The Fox Affair

1977 - The Moon and a Murmur

1977 - Charlotte be bazarche miayad

1977 - The Condemned (In Grouhe Mahkoomin)

1977 - The Devil (Sheytan)

1976 - Weeds (Alafha-ye harz)

1975 - Ye Yo

1974 - Tumult (Hayahoo)

1974 - Yaran

1972 - An Isfahani in New York / Adventure Persian Style (Yek Esfahani dar New York) [également producteur]

1971 - Woolen Threads (Tarha-ye pashm) (Court-métrage documentaire)

1972 - Los Enredos de Nicasio

1971 - El Rebelde Solitario, la historia de Enrique Blanco / Lonely Rebel: Enrique Blanco’s Story

1970 - Les héros de Yucca / Les Six Invincibles (The Invincible Six)

1970 - Correa Cotto: así me llaman! / Correa Cotto, That’s My Name!

1969 - La Tigresa / Tigress

1968 - Love After Death / Unsatisfied Love [également monteur]

1968 - Las Pecadoras / The Sinners

1968 - Soñar no cuesta nada, joven / It Costs Nothing to Dream, Young Man [également monteur]

1967 - Round Trip

1967 - Siyavosh at Persepolis (Siavash dar takht-e Jamshid)

1965 - Night of the Hunchback (Shabe ghuzi)

1964 - L'aube du capricorne (Toloo'-e jady) (Court-métrage)

1963 - Flaming Poppies (Court-métrage)

1960 - If It Works, Fine; If Not, So What? (Shod, shod, nashod nashod)

1959 - The gullible one (Halou)

1957 - Molla Nasreddin (Court-métrage d’animation)