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Voodoo 2: Chinese Puzzle

(1ère publication de cette chronique : 2025)
Voodoo 2: Chinese Puzzle

Titre original : Voodoo 2: Chinese Puzzle

Titre(s) alternatif(s) : Aucun

Réalisateur(s) : Anthony Doublin

Année : 2020

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h05

Genre : Un nanar averti en vaudou

Acteurs principaux : Arlisha Fogel, Christine Liao, Sheilamarie Jimenez, Bob Molinar, Charles Chiodo, Junie Hoang, Kenneth J. Hall, Charles M. Joyce

John Nada
NOTE
2.75 / 5

Pour vous parler de Voodoo 2: Chinese Puzzle, il faut d’abord parler de son réalisateur, Anthony Doublin.

Tony Doublin, sorcier des effets spéciaux, alchimiste du latex et des maquettes miniatures, nécromancien des incrustations sur fonds verts, ici interviewé pour les featurettes bonus du blu-ray de Re-Animator.

Doublin n’est pas à proprement parler metteur en scène, son coeur de métier ce sont avant tout les effets spéciaux. Et dans ce domaine, son CV est franchement sympa puisqu’il a contribué à une foultitude de films fantastiques des années 1980 et 1990 comme Re-Animator 1 & 2, From Beyond, Le Blob, Critters ou Darkside les contes de la nuit noire. Il a aussi travaillé sur un paquet de bisseries moins prestigieuses mais souvent attachantes parmi lesquelles The Lost Empire, Train express pour l’enfer, Dinosaures, Le Cobaye, Dar l'invincible 3, Turbo Power Rangers, L’homme homard venu de Mars, Scanner Cop, Les démons du maïs 3 ou la franchise Carnosaur. Sa collaboration fréquente avec les frères Chiodo l’a aussi amené à bosser sur la série d’animation Robot Chicken, l’inégalable Team America : Police du monde ou, plus récemment, Willy's Wonderland avec Nicolas Cage. Bref, c’est un pur artisan qui a roulé sa bosse sur de nombreux plateaux durant l’âge d’or des prothèses en latex, des animatroniques, des décors en modèles réduits et des matte-paintings.

Tony Doublin et Drexl Reed avec une des armes qu’ils ont conçues pour Critters.


En 1993, le producteur David Huey de Cine Excel lui propose de concevoir les effets spéciaux de Future War, dont l’ambitieux scénario signé Dom Magwili pompe à fond les ballons les deux gros succès du moment, Jurassic Park et Terminator 2. Tony Doublin décline poliment, rebuté par le budget ridicule qu’on lui alloue pour cette tâche. David Huey lui propose alors le poste de réalisateur et Doublin se laisse convaincre. Sur le papier, Doublin a le bon profil : il sait concevoir et animer des dinosaures miniatures pour pas trop cher (il vient juste de bosser sur Carnosaur, un autre Jurassic Park du pauvre produit par Roger Corman), et comme c’est son tout premier film en tant que réalisateur, ses prétentions salariales restent modestes car il y voit une opportunité de carrière. Pour Cine Excel, ça ressemble à une belle affaire, sauf que… rien ne va fonctionner comme prévu.


Tourné en douze jours en janvier 1994, le film nécessitera d’importants reshoots, d’incessants remontages et ne sortira qu’en 1997, devenant instantanément un nanar de haute volée suscitant tour à tour la sidération, la risée et la pitié de tous ceux qui l’ont vu. Pour plus de détails, on vous renvoie vers la chronique, avec en bonus les souvenirs de tournage des différents protagonistes que nous avons pu interviewer. Tony Doublin y est accusé de lenteur et d’incompétence, et lui se défend en expliquant que le budget était tellement misérable qu’il était impossible de faire un film correct. Comme souvent, la vérité se situe sans doute quelque part entre ces différents points de vue.

Le chef op’ Cory Geriak et Tony Doublin sur le tournage de Future War.


Pour Tony Doublin, l’expérience de Future War fut extrêmement amère. Par la suite, en parallèle de son travail de technicien, il va écrire, produire et réaliser quatre petits films en totale indépendance : Manhater (2005), Voodoo Dolly (2006), Slaughtered (2008) et Voodoo 2: Chinese Puzzle (2020). Des films dont il assure aussi les prises de vue, les effets spéciaux et le montage. Tranquille dans son coin, avec rien ni personne pour l’emmerder. Parce qu’Anthony Doublin est un artiste libre dans sa tête. À l’âge où d’autres prendraient leur retraite, et après des années à avoir mis ses compétences d’honnête artisan au service des autres, ce magicien de l’image a décidé de se faire plaisir, et réaliser ses propres films en laissant libre cours à son génie créatif.


Pas de bride, pas d’enclos, pas de barrière : lâchez les chevaux. Regardez-les galoper gaiement dans les vertes prairies de l’imaginaire, la queue en panache et les naseaux frémissants. Tiens, voici l’étalon « Rigueur narrative » qui détale sans demander son reste et disparaît à l’horizon, mais pourquoi s’enfuit-il comme ça ? Oups, et la pouliche « Sens de image » est en train de se noyer dans un étang. Mince, et maintenant c’est le pur sang « Talent artistique » qui vient de tomber dans un ravin... Bon, ben il nous reste le canasson « Kitsch ultime », qui a le mufle plongé dans sa mangeoire, et la bourrique « Ridicule extrême », qui roupille vautrée au soleil. Tant pis, on fera avec.



Sorti en 2006, le premier Voodoo Dolly fait figure de galop d’essai, une simple promenade au petit trot pour se chauffer les pattes, tandis que Voodoo 2: Chinese Puzzle s’affirme, véritablement, comme une grande chevauchée crépusculaire, crinière au vent, vers un absolu n’importe quoi. Précipice en vue ? Balek, on fonce. Anthony Doublin est un équilibriste qui travaille sans filet, au risque de chuter et s’aplatir comme une crêpe devant son public. A croire même qu’il le cherche.


Voodoo Dolly a pour protagoniste une prostituée nommée Dolly Watson, dont le témoignage doit permettre à la justice de faire incarcérer un dangereux chef de gang qu’elle a vu commettre un meurtre. A l’approche du procès, les tentatives d’assassinat sur Dolly pour l’empêcher de témoigner se succèdent et échouent toutes. A court de solutions, le chef de gang s’attache alors les services de Madame LaBarge, prêtresse vaudou qui lui fabrique une poupée tueuse possédée par un esprit malfaisant…

Un cameo de Doublin en clodo libidineux dans Voodoo Dolly.

Survival horrifique à micro-budget, filmé « entièrement sous le radar » comme le précise son générique de fin, Voodoo Dolly est foncièrement cheap, bourré de maladresses, mais globalement le scénario se tient et, avec toute l’indulgence nécessaire, il reste relativement divertissant.


Sorti (ou disons plutôt terminé) quatorze ans plus tard, Voodoo 2: Chinese Puzzle, qui tient autant de la suite tardive que du spin-off, suit cette fois la prêtresse vaudou, Madame LaBarge, en pleine panade financière et poursuivie par des forces occultes. Contrainte de dormir dans sa voiture, elle assiste une nuit à l’agression d’une immigrée chinoise nommée Fan et se porte à son secours. Fan lui raconte qu’elle vient de débarquer aux Etats-Unis, qu’elle est à la recherche de ses enfants kidnappés, mais ne peut se tourner vers la police car elle est sans papiers. Madame LaBarge décide de l’aider…



Une banshee expulse Madame LaBarge de son domicile. Plan galère plan relou pour la sorcière vaudou.

Le duo Madame LaBarge / Fan nous rejoue en mode mineur les traditionnels couplets du buddy movie surfant sur le décalage culturel entre les protagonistes, avec un humour pas très finaud qui nous rappelle parfois les moments les plus gênants de la franchise Rush Hour, et que ne vient jamais transcender le jeu ô combien limité des actrices.



Apprentissage à la dure de l’American Way of Life (non Fan, le papier d’emballage de ton burger n’est pas comestible).
#RituelDeRire #IncantationDHumour #SortilègeDeBlague


L’enquête de notre duo sert de prétexte pour nous balader en voiture de-ci de-là, dans les lieux les moins photogéniques qui soient. Avec en guise de remplissage de longs dialogues filmés en plan fixe à travers un pare-brise sale, dans un véhicule censé rouler mais qui est clairement à l’arrêt, et l'interprète de Madame LaBarge qui ne fait même plus l’effort de faire sembler de tourner le volant de temps à autre. C’est une succession de rues vides, d’arrière de station-service, de contre-allée de fast food, et de parkings déserts, filmés de la façon la plus plate et inintéressante possible. Vous voulez du dépaysement ? Un peu d’exotisme et d’évasion ? Eh bien il faudra les chercher ailleurs, parce qu’ici vous en trouverez encore moins que dans la routine de vos trajets quotidiens. Le souffle de l’aventure ? Oui, celui d’une clim’ asthmatique, quand vous êtes à l’arrêt sur le parking d’un Taco Bell. Le grand frisson ? Celui qui vous parcourt l’échine quand un voyant du tableau de bord s’allume sans crier gare. Les périls à braver ? Principalement l’assoupissement au volant pendant la digestion. Ne restez pas cloîtrés chez vous : prenez un grand bol d'air et respirez la vie à pleins poumons, grâce au sapin magique senteur vanille de votre habitacle. Sans même s’en rendre compte, Anthony Doublin invente en fait un nouveau genre cinématographique : le road movie de quartier. Le voyage qu'il nous propose est une odyssée de proximité, un slow cruise urbain, une épopée du bitume en zone pavillonnaire, la conquête des grands espaces à l’ère de la décroissance.

Le vrai personnage central du film c’est elle : la voiture de Madame LaBarge, officiante d’une branche vaudou sans doute non homologuée par les autorités compétentes de Louisiane.

Visitez la Californie et succombez au charme inégalable de ses paysages ensoleillés…

…vibrez au rythme endiablé de sa riche vie nocturne…

…et profitez du calme exceptionnel et envoûteur de ses mystérieux parkings authentiquement vaudous.

Une aventure aussi excitante qu’un tour de pâté de maison à 25km/h. Oh wait…

Entre une sieste sur un parking et un burger, l’enquête motorisée de notre duo va les amener à croiser une galerie de personnages hautement improbables, assortis d’effets spéciaux tout aussi improbables. Attention, c’est rien moins que la fine fleur de l’ésotérisme local, l’élite de la thaumaturgie californienne dont il s’agit puisqu'on trouve parmi eux un professeur de magie qui vit dans une minuscule tente ouvrant sur d’autres dimensions (gros festival d’incrustations sur fond vert à l’appui), un homme qui se métamorphose en rat, une muse échappée d’un concours de cosplay organisé dans un entrepôt désaffecté un jour de grève et qui joue comme une patate, et le fourbe Jacob Wolenski, grand mage ultra-discount comme on les affectionne. À peu près tous sont joués par des collègues et amis d’Anthony Doublin, avec des degrés de motivation très variables oscillant entre le surjeu chamanique et le coma cérébral.

#StreetCred




Bob Molinar dans le rôle du Professeur, dont les incroyables pouvoirs magiques arrivent à nous faire croire qu’il vit dans un grand vignoble californien.

Ratman, moins frimeur, nous reçoit dans sa cuisine (le drap servant de fond vert devait tourner dans la machine à laver ce jour-là). Il est interprété par Charles Chiodo qui, avec ses frères Edward et Stephen, compose un trio bien connu dans le domaine des effets spéciaux. On leur doit notamment le sympathique et délirant Les clowns tueurs venus d'ailleurs (Killer Klowns from Outer Space, 1988), et la conception des effets spéciaux sur de nombreux films, de Critters à Team America : Police du monde, employant régulièrement Anthony Doublin dans leur équipe.

Une muse hard discount. La crème de la crème de la sorcellerie de proximité.


Le démoniaque Jacob Wolenski, avec ses créatures démoniaques et son bureau d’écolier démoniaque. Il est interprété par Kenneth J. Hall, lui aussi spécialiste en effets spéciaux mécaniques, et également scénariste sur des productions de Charles Band ou Fred Olen Ray.

On ne va pas s’acharner outre mesure sur le scénario de Voodoo 2 (spoiler : on a déjà vu mieux). Ni railler plus que de raison le niveau de ses interprètes (spoiler : aucun n’a remporté d’Oscar). Ou persifler la mise en scène (une rétrospective Doublin à la Cinémathèque n’est pas à l’ordre du jour). Non pas parce que sa facture foncièrement zédarde décourage l’ironie, mais parce que Voodoo 2 ne mérite tout simplement pas un tel acharnement. Ce n’est pas – mais était-il encore nécessaire de le préciser ? – un bon film pour autant, non, mais sa nature de creature movie totalement décomplexé, le profil gentiment perché de son auteur, et son côté DIY presque kamikaze plaident clairement en sa saveur.

La Californie, ses plages de sable fin, ses fonds verts et ses baignades numériques.


Je me souviens qu’à l’école, tout petit, on chantait du Robert Desnos. « Une fourmi de dix-huit mètres, avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas, ça n'existe pas, et… pourquoi pas ». Ici, c’est un peu la même histoire. Une poupée vaudou numérique habitée par un démon, qui se met à grandir jusqu’à atteindre trois mètres de haut, avant d’être aspergée d’eau bénite en spray et secouer sa tête soudain couverte de grands flashs colorés ? Et pourquoi pas Madame. Un dragon chinois en pixels véritables qui se dresse à l’écran, et dévoile sans fard ses formes impudiques sous nos pupilles dilatées par une consternation toute légitime ? Et pourquoi pas Monsieur. Avec Anthony Doublin, le survival horrifique vire volontiers à la comptine pour enfants.

De l’eau bénite en spray contre les méchantes poupées. Parce qu'une sorcière avertie en vaudou !

Ça y est, mon cerveau vient de se transformer en popcorn.

Le plus fou dans tout ça, la vraie grande prouesse de Doublin à mes yeux, c’est qu’il arrive à rendre attachant ses effets numériques. Alors qu’on est habitués à entendre les cinéphiles regretter le bon vieux temps des effets spéciaux d’avant les ordinateurs, le charme artisanal des trucages à l’ancienne, et se lamenter du côté lisse, froid et impersonnel des CGI, on se surprend ici à éprouver comme de l’émotion et de l’admiration pour le boulot de Doublin. C’est fait sur ordinateur, mais avec ce côté bricolé et imparfait qui laisse deviner la main de l’artisan. Les gros pixels de ses effets spéciaux, on a presque l’impression qu’ils ont été patiemment taillés un à un au marteau et au burin numérique, ses animations graphiques ont un côté « cousu main », et à chaque nouvel effet on imagine Doublin, suant de longues heures sur le clavier et la souris de son PC, pour donner vie à ses folles idées. A l’heure ou l’IA permet de générer des séquences vidéo dignes d’un blockbuster hollywoodien avec un simple prompt de quelques mots, on en viendrait presque à éprouver quelque chose comme de la nostalgie pour les CGI faits maison de Voodoo 2.


The cringe is strong with this one.

Il faut voir des choses pareilles pour admettre qu’elles existent.

Il y a des films qu’il faut voir pour admettre qu’ils existent. Et après la sidération initiale, vient toujours la question du pourquoi. Pourquoi Anthony Doublin a t-il fait Voodoo 2: Chinese Puzzle. Pour l’argent ? Ça semble hautement improbable : le film n’étant disponible qu’en DVD sur son site perso, il a dû lui coûter et ne rien lui rapporter. Parce qu’il a un message à transmettre ? Voodoo 2 n’en contient aucun, et Tony Doublin n’a rien d’un auteur prétentieux « avec des choses à dire » comme Neil Breen. Ce n’est pas non plus un vanity project : Doublin ne cherche pas à se faire mousser, il tient juste un tout petit rôle de clochard vicieux non-crédité dans Voodoo Dolly, et n’apparaît pas du tout dans Voodoo 2. Doublin a t-il voulu exorciser la malheureuse expérience de Future War et (se) prouver qu’il pouvait être un réalisateur compétent ? C’est déjà plus probable. Était-ce une façon d’expérimenter avec les effets numériques et l’animation en 3D, et ainsi gagner en expérience dans ce domaine pour étoffer son CV, à une période où les sollicitations pour des effets mécaniques artisanaux devaient se faire bien rares ? Une façon de rester actif et lutter contre le désoeuvrement à une période douloureusement creuse de sa carrière ? C’est fort possible. Et dans l’absolu, nul besoin d’avoir une raison particulière pour tourner un film, si ce n’est l’envie de le faire. Anthony Doublin avait peut-être juste envie de se faire plaisir, et il a bien eu raison. Son Voodoo 2 témoigne en tout cas d’une foi intacte dans la magie du cinéma – fût-elle bancale, pixelisée, et filmée depuis le siège passager.


- John Nada -

Cote de rareté - 6/ Introuvable

Barème de notation

Alors que nous l’interrogions à propos de Future War et de sa courte expérience avec Cine Excel, c’est Anthony Doublin lui-même qui, de sa propre et généreuse initiative, nous avait demandé notre adresse et envoyé son diptyque vaudou. Nous étions en mai 2021 et il venait alors tout juste de terminer la production du film qui nous intéresse ici. Qu’il en soit remercié.

Double-DVD avec les deux films : c'est Doublin pacte (avec le Diable) !

Car en terme de rareté, Voodoo 2: Chinese Puzzle se pose là… Figurez-vous qu’il n’est même pas référence sur IMDB. À vrai dire, il n’était disponible en DVD que sur le site perso d’Anthony Doublin, mais ce site est malheureusement HS. Cela dit, vous pouvez toujours essayer de contacter le réalisateur via sa chaîne YouTube. Dans le descriptif du trailer de Voodoo 2: Chinese Puzzle, il précise lui-même « Now Available on DVD. Contact me for information. »