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Cannibal World
(1ère publication de cette chronique : 2006)Titre original :Mondo Cannibale
Titre(s) alternatif(s) :Horror Cannibal 2
Réalisateur(s) :Bruno Mattei, sous le pseudo de Vincent Dawn
Année : 2003
Nationalité : Italie / Philippines
Durée : 1h31
Genre : Cannibal Xerox
Acteurs principaux :Mike Monty, Helena Wagner, Claudio Morales, Cindy Matic, Antoine Reboul
« Quand la légende est plus forte que la réalité, imprimez la légende », dit James Stewart dans « L'Homme qui tua Liberty Valance ». Bruno Mattei, c'est un peu le John Ford de Nanarland.
Je vais donc vous narrer l'extraordinaire aventure de la gestation d'une de ses plus belles oeuvres, « Cannibal World », daté de 2003 [NDLR : ne pas confondre avec « Mondo Cannibale », de Jesus Franco]. Les exégètes du maître transalpin ne s’étant hélas pas assez penchés sur la période récente de son oeuvre, je prends le parti de la licence poétique. Et de toute façon, je pense que la légende va être largement en dessous de la vérité.
Hiver 2002. Bruno Mattei s'ennuie. Il a réalisé deux films cette année (« L'Altra donna » et « Capriccio veneziano ») et il s'ennuie déjà. Ce bourreau de travail (comprendre : il massacre son travail et celui de son équipe comme un salopiaud) ne tient plus en place. Il décroche son téléphone et décide de se payer un gueuleton avec son ami le producteur Gianni Paolucci avec l'argent que lui a rapporté son dernier film. Après trois bouteilles de rosé et un repas très riche en sauce tomate, les deux compères décident de mettre en route un nouveau projet.
Incroyable : des stock-shots de stock-shots de « Virus Cannibale », que Bruno a récupérés dans ses tiroirs !
« Tu sais quoi Gianni, mon ami, je commence à me faire chier l'hiver ici, je passerais bien les trois prochains mois au soleil. Je connais un super coin où il fait toujours beau et on pourra tourner pour pas cher.
- Me dis pas que tu comptes à nouveau tourner aux Philippines ?
- Bingo mon pote. Ca fait une paye que j'ai pas vu mon vieil ami Mike Monty. Je suis sûr qu'il a un plan pour me trouver du monde là-bas, vu qu'il y réside depuis un paquet d'années. Tu te souviens, ça coûte que dalle les figurants dans cette partie du monde et il fait toujours beau.
Une maîtrise de l'anglais quelque peu perfectible...
- Et comme ça, on pourra picoler au bord de la piscine. Ouais, je vois le truc. Mais tu as une idée de scénario, parce qu'il faut quand même qu'on tourne quelque chose ?!
- Dis-toi que l'oncle Bruno a toujours une idée derrière la tête. Je vais raconter l'histoire d'une équipe de télévision qui recherche des cannibales en Amazonie et qui finalement se fait bouffer..
- Attends, tu n'a pas déjà fait un film comme ça ?
- Non, je n'ai pas encore fait MA version de « Cannibal Holocaust », l'original est vraiment mal fait. Il faut montrer ce qu'est le vrai talent.
- T'as raison, les histoires de cannibales, ça va plaire. Et puis, qui se souvient de « Cannibal Holocaust » ? Je parie que ça n'existe même pas en DVD. On trouvera bien des gars pour faire les figurants. Mais pour les acteurs, il nous en faut quand même qui parlent correctement l'anglais et passent bien devant la caméra.
- Dommage que Mike se fasse un peu vieux Mais j'ai trouvé une vraie gueule de héros. Il s'appelle Claudio Morales et il n'a jamais fait de cinéma, ce qui est vraiment incompréhensible (il tend une photo).
- Pas mal, il a du charisme. Il fait un peu Antonio Banderas. Enfin, son cousin de province. Mais il nous faut absolument une nana pour partager l'écran avec lui.
- J'ai mieux qu'une nana, j'ai deux nanas (il tend un jeu de photos) : Helena Wagner et Cindy Matic, une brune, une blonde. Elles aussi, c'est leur premier film. Je leur ai promis des cocktails au bord de la piscine, elles vont pas nous coûter cher, crois-moi ! Et regarde moi ces paires de... (le téléphone portable de Bruno sonne).
Helena Wagner dans le rôle de la journaliste Cruella Grace Forsyte.
Le combo lever de sourcil/regard en coin/dents de traviole : toute la puissance de l'acting concentré dans un visage de dinde.
Cindy Matic s'éclate à filmer un viol.
Claudio et Helena apprécient le spectacle d'une éventration.
- Oui, Luigi... Non, ce n'est pas moi qui ai tes DVD d' « Aliens » et de « Predator ». Tu ferais mieux de regarder mon film « Robowar », c'est quand même mieux que la version de McTiernan. Allez, à demain ! (Il raccroche) C'était mon neveu, un grand crétin qui regarde tout ce qui existe en SF au lieu de bosser à la fac. Attends un peu, Gianni, je viens d'avoir une idée de génie ! Et si on en profitait pour tourner en même temps un autre film qui mélange « Predator », « Aliens » et tes histoires de cannibales ? On est sur place, on a les acteurs, on a les figurants locaux qu'on grime en cannibales. En filmant directement en vidéo, on monte vite, pas besoin de développer le film et on double la mise. Putain, je m'étonne certains jours !
- Ecoute Bruno, on va pas perdre un instant, on va commencer à écrire le script sur la nappe du restaurant.
(Une heure et deux bouteilles de digestif plus tard)
« Pas évident de faire tenir deux scripts sur une nappe. J'espère que ma secrétaire arrivera à relire malgré les taches de vin » déclare finalement un Gianni titubant en sortant du restaurant. « A demain Bruno... » Mais Bruno, dans sa tête, est déjà en route pour les Philippines...
La légende s'arrête là. Car une fois dégrisé, on se rend compte que le résultat est quand même assez consternant de nullité.
Des indigènes payés en bols de riz, qui cabotinent un brin.
La virée aux Philippines de la fine équipe de vieux roublards et de débutants incompétents aura donc donné lieu à deux, euh, oeuvres distinctes sur le papier : « Cannibal World » et « Land of Death ». Mais au final, c'est un peu des siamois qu'on aurait séparés au marteau-piqueur. Je vais centrer ici mon propos sur « Cannibal World », mais son frère débile peut faire l'objet d'une étude similaire.
Le premier choc est d'ordre visuel. Le tout a été filmé directement en DV, ce qui donne illico au film un look de film porno hard, impression renforcée par des musiques sorties de la banque sonore de Marc Dorcel. On s'étonne même de ne pas voir davantage de plans nichons.
Ceci est censé être le bureau d'un PDG de chaîne de télé. Pas de téléphone, un ordinateur portable qui doit être celui de Mattei, trois vagues bouquins posés sur une étagère, le tout filmé au premier étage (on voit le jardin) alors que la scène est censée se passer au sommet d'un building... Top crédibilité !
La trame reprend quasiment en grande partie celle de « Cannibal holocaust », mais en dix fois plus maladroit. Comme un script photocopié par un stagiaire qui l'aurait faxé par erreur à une pizzeria.
En gros, une équipe de télévision composée d'aspirants au prix Pullitzer (une garce ambitieuse, une Paris Hilton de Prisunic, un roublard bidonneur de reportages, un cameraman hydrocéphale et un guide local) traque des supposés cannibales au fin fond des Philippines, pardon de l'Amazonie, pour en faire un reportage à sensation fortement dosé en sang et en violence.
Ils sont poussés sur la route du lucre et du stupre par la direction d'une chaîne satellite obsédée par le profit et qui abandonne toute éthique pour le sacro-saint taux d'audience et plaire aux actionnaires. Nos héros vont donc s'enfoncer toujours plus profondément sur le chemin du vice, incendiant des villages, violant des femmes et trucidant des enfants sur l'autel de l'audimat, pour finir assez lamentablement dans l'estomac des « sauvages ».
A part Mike Monty (non crédité au générique : il était surtout directeur de production sur le tournage) qui fait une brève apparition dans un rôle de prêtre, on ne trouve que des acteurs sans expérience et surtout sans talent, qui parlent régulièrement face à la caméra, et surtout quand il ne sont pas censés le faire, un peu comme une version du « Blair Witch Project » à la sauce « South Park ». Les grandes leçons de morale du bourlingueur Bob Manson sont rendu hilarantes par leur lourdeur pachydermique, uniquement égalée par l'arrivisme outrancièrement manichéen de sa consoeur Grace Forsyte.
Mike Monty en missionnaire.
A l’image du scénario, les personnages se distinguent par une remarquable accumulation d'incohérences : "journaliste à principes" au début du film, Bob Manson se révèle tout aussi ignoble que ses collègues et participe joyeusement au massacre des indigènes. Grace Forsyte, totalement infâme au début, se découvre brusquement des pudeurs à la toute fin du film, sans qu'aucune raison ne nous soit donnée à ce revirement. Et, surtout, les cannibales sont l'une des peuplades les moins vraisemblables jamais vues : parfaitement féroces dans leur consommation de chair humaine (on est plus proche de l'anthropophagie que du cannibalisme proprement dit, suivant une confusion présente dans tous les films de cannibales), les indigènes se montrent brusquement apeurés quand les reporters viennent incendier leur village pour obtenir des images choc ; ils ne se défendent même pas, alors qu'ils sont armés de lances et cinq fois plus nombreux. Ce qui ne les empêchera pas ensuite de les pourchasser dans la jungle. A n'y rien comprendre.
Les capitalistes nanars.
Si l'on ajoute que le reportage est l'un des moins crédibles jamais vus dans un film de fiction (à faire passer celui de « Cannibal holocaust » pour un film-modèle montré dans toutes les écoles de journalisme), tant le commentaire est démonstratif et les vaillants JRI peu crédibles face à la caméra, il faut souligner que nos "héros" envoient leur film à la chaîne de télé sans le moindre montage, incluant par conséquent les images qui les montrent massacrer les indigènes. Faut-il croire qu'ils aient à ce point confiance en leurs employeurs pour être sûrs que personne ne les dénoncera ?
Le grand patron, joué par un acteur au manque de cinégénie hallucinant.
Difficile de départager les deux Dream Team d'acteurs : les capitalistes bien au chaud et les reporteurs dans l'enfer vert. Certes ils sont tous idiots, manipulateurs, cupides et incompétents : toutefois, j'ai une petite faiblesse pour le conseil d'administration de la chaîne, dont la cupidité et la bassesse télévisuelle évoquent une version absurde de Tintin en Amérique (la première édition) revue et corrigée par Michael Moore et Pierre Bourdieu.
L'incrustation des flammes est tellement bien faite que les acteurs semblent se trouver AU MILIEU du brasier. Chapeau !
Quant à la main d'oeuvre locale, c'est pas mieux. Les cannibales sur-jouent (un comble pour des sauvages), et font passer le film original de Ruggero Deodato pour un documentaire du National Geographic reformaté pour une soirée Questions sur l'anthropologie d'Arté.
Concernant la prétendue "morale" de l'histoire ("Qui est le vrai sauvage, eux ou nous ?"), elle figurera assez haut au classement des foutages de gueule. Du sang et des nichons, c'est tout ce qu'on retient du film, pas l'analyse des rapports inter-culturels que même le "Monde Diplomatique" n'oserait imprimer dans son bêtisier.
Ce chef-d'oeuvre en péril serait incomplet sans son lot de stock-shots, d'incohérences notoires (comme ces troupeaux de bovidés très civilisés que l'on aperçoit en arrière-plan alors qu'on est censé se trouver au fin fond d'une jungle d'Amazonie), et de différences d'éclairage flagrantes. Les trucages sont d'une nullité et d'un amateurisme qui laisse songeur : incrustations vidéos mal maîtrisées, tripaille qui évoque plus des boyaux de poule qu'un être humain ou encore cette tête tranchée qui ne ressemble pas à l'actrice venant de se faire décapiter.
Nous somme donc face à une oeuvre très riche, dont je vous laisse découvrir toutes les joies par vous même, avec notamment une VF aux dialogues parfois hilarants de prétention ou de double-sens involontaire, comme ce « arrête de prêcher, révérend Manson », adressé au journaliste Bob Manson mais que l'on pourrait interpréter comme destiné au chanteur Marylin Manson.
Grand merci à Bruno Mattei, un réalisateur qui ne faillit pas à sa légende de copieur incompétent et nous prouve qu'on peut atteindre 73 ans sans faire le moindre progrès dans l'exercice de son métier !
Entretiens
Cote de rareté - 2/ Trouvable
Barème de notationLes mêmes (ouais c'est bien "Fravidis", on en est sûrs maintenant) ont même sorti un méga coffret 5 films contenant celui-ci et d'autres oeuvres du maître comme Land of Death, Virus Cannibale, Zombi 3 et « The Black Cat »).
Pour les éditions DVD étrangères, attention les enfants, ça se complique. Suivez bien :
Comme indiqué plus haut, il ne faut pas confondre « Cannibal World » avec le film de Jesus Franco« Mondo Cannibale » (1980), dont le titre correspond au titre original du film de Mattei.
Ce n'est pas non plus « Ultimo Mondo cannibale » (« Le Dernier monde cannibale », de Ruggero Deodato) et il ne s'agit pas non plus du « Mondo cannibale / Deep river savages » de Umberto Lenzi (1972), connu en France sous le titre de « Cannibalis ».
Histoire de s'embrouiller un peu plus, le DVD japonais s'intitule « Cannibal Holocaust : the beginning ». Quant à Land of Death) (Nella terra dei cannibali), il est sorti au Japon sous ce superbe titre : « Cannibal holocaust : Cannibal vs Commando ».
Tout le monde a suivi ?
Le DVD japonais avec des pistes en Anglais (+ bande annonce et photos) :