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Konga
(1ère publication de cette chronique : 2025)
Titre original : Konga
Titre(s) alternatif(s) : Panique sur Londres, I Was a Teenage Gorilla
Réalisateur(s) : John Lemont
Année : 1961
Nationalité : Grande-Bretagne
Durée : 1h30
Genre : God save the Kong
Acteurs principaux : Michael Gough, Margo Johns, Claire Gordon, Jess Conrad, Jack Watson
A l'heure d'Internet, on se figure mal ce que les cinéphiles de la génération de nos grands-parents ont dû traverser comme désert pour parvenir à voir ou à revoir certains classiques incontournables. A l'aube des années 1960, les copies du King Kong de 1933 sont réputées perdues, et celles et ceux qui, à l'instar de ma propre grand-mère, ont eu la chance de découvrir en salles ce chef-d'oeuvre du septième art à l'occasion de sa ressortie au début des années 50, racontent aux plus jeunes leurs souvenirs émus du mythe. A l'époque, un homme a décidé de donner au public en manque sa ration de kongeries. Cet homme, c'est le producteur-scénariste américain Herman Cohen, un spécialiste des bouche-trous pour les doubles programmes bis des drive-in et des cinémas de quartier. Grand amateur de singeries devant l'Eternel (on lui doit aussi les nanaresques Le Gorille de Brooklyn et L'Abominable Homme des Cavernes), Cohen veut rajeunir le mythe, en y ajoutant du rock'n'roll et des jeunes qui veulent s'éclater, car après tout, n'est-il pas le producteur d'autres versions "teens" des grands classiques de l'horreur, comme I Was a Teenage Frankenstein et I Was a Teenage Werewolf ?
Une affiche turque au titre culotté.
En toute logique, il pense donc appeler son film I Was a Teenage Gorilla, mais se dit bientôt que ce titre ne ressemble pas assez à King Kong. C'est décidé, son film sera baptisé Konga et pour être bien sûr d'appâter le chaland, il investit pratiquement tout son budget dans une affiche qui en jette, avec un gorille gigantesque en fureur tenant dans sa mimine une blonde à forte poitrine et piétinant carrément Big Ben comme un château de cartes, tandis que les avions de chasse de la Royal Air Force s'apprêtent à donner l'ultime assaut. Et quand je dis que presque tout le budget est passé dans l'affiche, ce n'est même pas de l'ironie, car Herman Cohen a déboursé la coquette somme de 25 000 dollars à la RKO rien que pour pouvoir insérer cette tagline décomplexée : "Not since KING KONG... has the screen thundered to such mighty excitement!". Le genre d'accroche mégalo qui est presque toujours synonyme de daube.
"Konga : l'héritier de King Kong"... qui fait n'importe quoi avec son glorieux héritage.
Ce film britannique fit s'esclaffer critiques et spectateurs à sa sortie, et soixante ans plus tard, l'effet produit est toujours le même. Réalisé sans aucun génie (mais avec un certain charme) par le Canadien John Lemont (peu prolifique tâcheron ayant sombré dans l'oubli), ce long-métrage idiot et pauvre a gagné ses galons de nanar sans avoir eu besoin pour cela que la patine du temps lui donne des rides. Ce rejeton bâtard de King Kong et de Double Assassinat dans la Rue Morgue était grotesque dès sa conception. L'écart gigantesque entre son affiche qui promet du grand spectacle à couper le souffle et la pantalonnade défilant à l'écran n'est sans doute pas étranger aux railleries qu'il essuya de la part de ses contemporains. Il fallait donc bien qu'un jour Nanarland s'intéresse à ce bon gros ringard de Konga, même si nous allons voir que le film dont il est la vedette demeure un nanar très mineur.
Chez les gorilles géants, quand un élève dépasse son maître, il doit reprendre le nom de ce dernier en y ajoutant une lettre. Sa grand-mère s'appelait aussi Konga.
L'intrigue démarre pourtant bien, même si les premiers plans nous servent déjà un effet spécial foireux. On y voit un avion s'écraser dans la jungle d'Ouganda au moyen d'une surimpression d'explosion assez voyante. A son bord se trouvait le Dr. Charles Decker, un illustre botaniste anglais. Un an plus tard, le savant porté disparu revient à Londres, déclarant aux journalistes qu'il a été recueilli par une tribu d'indigènes, les Bagandas, et qu'il a découvert pendant son séjour dans la jungle le chaînon manquant entre le végétal et l'animal. Il ramène aussi d'Afrique un mignon bébé chimpanzé qu'il a baptisé Konga, parce qu'avec une lettre en moins, le producteur aurait dû débourser beaucoup plus de pognon à la RKO ("De ce chimpanzé va descendre une longue lignée de rois !" se permet tout de même de glisser le brillant docteur, qui appelerait volontiers l'animal King Konga s'il ne risquait pas un procès carabiné).
Michael Gough, illustre comédien anglais, est apparu dans pas mal de séries B avant de tourner pour Tim Burton. Il fut notamment Alfred Pennyworth, le majordome de Batman dans les années 80-90. Herman Cohen et lui avaient signé ensemble un beau succès avec "Crimes au Musée des Horreurs" quelques mois plus tôt, et le patron du studio Anglo-Amalgamated Productions demanda à Herman Cohen de réitérer l'exploit commercial. Ca ne peut pas marcher à tous les coups...
Le Dr. Decker retrouve donc son cottage londonien cozy, sa secrétaire-assistante-maîtresse Maria (Margaret en VO), les élèves de son université plus intéressés par les flirts et les blagues potaches que par ses cours de botanique, et sa serre, dont il arrache sans ménagement les pétunias afin de pouvoir y cultiver les plantes qu'il a rapportées d'Ouganda. C'est alors qu'on a droit à un premier élément nanar avec ces plantes carnivores en carton, lointaines cousines de celles de Turkish Star Trek, dont certaines ont la forme de grosses verges visqueuses surmontées d'une langue pendante. Petite pensée pour les techniciens anonymes réduits à ouvrir et à refermer leur main dans les marionnettes en caoutchouc pour gober les morceaux de bacon que leur distribue Michael Gough.
La petite boutique des erreurs.
Attention chéri, derrière toi, c'est affreux !
"Afrique interdite", la minute mondo.
C'est à ce moment-là que le film commence à sentir le pâté, car si le récit était plutôt cohérent jusqu'ici, le Dr. Decker se transforme subitement et de façon assez mal amenée en psychopathe obsédé sexuel et mégalomane. Dans ce rôle de savant fou caricatural et mal écrit, le charismatique Michael Gough se lâche dans le cabotinage en roue libre et nous récite avec exaltation des tirades de ce calibre : "Grâce à Konga, ce ne sera pas un seul pays que je dominerai, mais je marquerai une ère nouvelle sur toute la Terre ! Je produirai des hommes de quatre ou bien de six mètres !" Le plus fort est encore la réaction de Maria face à cet excité du bocal et leurs échanges ahurissants : "Charles, j'ai du mal à comprendre où tu veux en venir. Je sens que la question te passionne, mais nous devrions nous reposer."
La science vue par...
Grand show Michael Gough.
Nous retrouvons ensuite le scientifique et son assistante dans leur laboratoire de petit chimiste, où Michael Gough remplit son éprouvette avec un liquide vert dont la formule lui a été transmise par l'homme-médecine de la tribu Baganda, tandis que Konga leur apporte le thé sur un plateau. Ambiance Ed Wood version so british. Comme le spectateur s'en doute, le jeune chimpanzé ne va pas tarder à se prendre un coup de seringue dans le derrière, dopé par le sérum à base de plante carnivore ayant pour propriété de favoriser le gigantisme. Le petit chimpanzé se transforme bientôt en gorille adulte, envers et contre toutes les lois de l'évolution. Ou plutôt en un intermittent du spectacle non-crédité au générique (un certain Paul Stockman, qui aurait sûrement préféré rester anonyme) dans un costume de gorille à fermeture-éclair, avec une tronche grotesque et deux yeux globuleux qui louchent comme ceux de The Mighty Gorga (le costume aurait, paraît-il, été loué à George Barrows, qui l'avait notamment utilisé dans Robot Monster). D'une absence de crédibilité à faire se gausser tous les spectateurs de 1961, pourtant beaucoup moins exigeants en matière d'effets spéciaux que le public d'aujourd'hui, ce primate en peluche se serait fait recaler au casting de George de la Jungle mais est ici censé terrifier les foules.
Il a les yeux revolver...
Il a le regard qui tue...
Davantage qu'un véritable Kaiju Eiga, Konga se rattache en fait, durant une bonne heure et quart, au sous-genre très prolifique des "films de singe tueur", avec en prime une ambiance "meurtres et enquête molle sur un campus universitaire", préfigurant en quelque sorte Le Sadique à la Tronçonneuse. Au moyen d'une lampe-torche, Michael Gough hypnotise le gorille (occasion de longuement profiter du regard qui tue de Konga) afin de l'obliger à accomplir de noirs desseins. Plutôt que de faire avancer la science et obtenir la renommée mondiale à laquelle il aspire en faisant connaître sa découverte au grand public, le Dr. Decker préfère se servir de Konga pour assassiner par étranglements tous ceux dont la tête ne lui revient pas : le doyen de l'université, un botaniste indien rival, le petit ami de son étudiante préférée... En effet, le lubrique Decker a des vues sur la sexy Sabrina (Sandra en VO), dont le soutien-gorge en pointes le met dans tous ses états. Un comportement de vieux satyre qui ne sera pas du goût de Maria, laquelle, pour se venger, décide de faire basculer le récit dans le dernier acte promis par la tapageuse affiche.
Konga fait tout ce qu'il peut pour nous faire peur. On aimerait bien faire semblant, histoire de lui faire plaisir, mais bon, voilà quoi...
Cette bécasse de Sabrina est jouée par Claire Gordon, l'atout charme du film.
Après un récit aussi mou qu'un plum pudding, heureusement illuminé par chaque apparition de Konga, la jalouse Maria fait donc une piqure supplémentaire au gorille, qui se met à grandir jusqu'à mesurer dix mètres. Visiblement surprise et affolée par cette croissance exponentielle (à quoi s'attendait-elle ?), Maria se met à hurler et Konga saisit alors dans sa paluche la poupée Barbie/doublure de Maria et la lance rageusement à travers le laboratoire. Le singe géant brise alors la vitre de la serre, où le Dr. Decker tentait de violer la jeune Sabrina, et s'empare de son maître, tandis que Sabrina se fait mâchouiller l'avant-bras par une des plantes carnivores en plastoc. Sa quenotte tenant fermement la figurine Ken de son créateur, ce gros balourd de Konga se met alors à déambuler nuitamment dans des maquettes de Londres, terrorisant de peu nombreuses foules de figurants qui surjouent la peur face à cette risible menace (et ne sont pas toujours synchrones avec les apparitions du gorille, certains semblant ne pas trop savoir ce qu'ils sont censés faire).
Jouer à la poupée à son âge, quand même...
Ce dernier quart d'heure est un véritable bonheur pour le nanardeur, qui se réjouira de la dégaine impayable du gorille géant, des transparences complètement ratées, des miniatures approximatives, et d'entendre le chef de la police sortir à ses adjoints ce genre de réplique lunaire avec le plus grand sérieux du monde :
"Fantastique ! On a vu un gorille de proportions gigantesques qui grandit continuellement et se promène dans les rues de Londres en semant la panique. D'après ce qu'on me dit, il se dirigerait vers Westminster. Arnold, alertez immédiatement toutes les voitures radio et armez tous les hommes disponibles ! Téléphonez tout de suite au patron à son domicile ! Mettez-le au courant de ce qui se passe ! Demandez-lui de réquisitionner la troupe et de l'acheminer immédiatement sur Westminster !"
Se tenant devant Big Ben, Konga balance finalement son créateur d'un geste rageur, et se fait mitrailler par l'armée de Sa Majesté en grognant et en louchant de plus belle, sur une musique orchestrale aux accents tragiques en complet décalage avec le caractère ringue et pitoyable de ce bouquet final tant attendu. Konga meurt et le gorille géant redevient alors un bébé chimpanzé, sous le regard stupéfait de la population londonienne, dont les expressions faciales sont à l'image de la sidération du spectateur.
Anarchy in the U.K. !
Si vous aimez les acteurs dans des costumes de singe de farces-et-attrapes, les savants fous cabotins qui ne supportent pas qu'on remette en question leur génie, les effets spéciaux ringards, les vieilles séries B anglaises gentiment foireuses du style The Frozen Dead et qu'un rythme mollasson ne vous fait pas peur, alors vous pourrez vous laisser tenter par ce Konga qui n'a pas usurpé sa réputation de film craignos. Sachez seulement qu'avec sa réalisation routinière, son doublage français à l'ancienne (c'est-à-dire que les dialogues les plus idiots du genre "Puisque c'est comme ça, tu sortiras seulement quand tu auras promis de rester avec moi !" sont récités comme du Phèdre), ses sous-intrigues pas toujours passionnantes et sa pingrerie budgétaire, on est assez loin du nanar colossal à la Banglar King Kong.
Mais bon, quand même, quel charisme il a, ce Konga !
Cote de rareté - 3/ Rare
Barème de notationPlusieurs éditions en blu-ray sont sorties aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, proposant le film dans une très belle copie.
Hélas, bien que la version française d'époque qui traîne sur Dailymotion nous ait permis de revoir le film dans la langue de Molière, nous n'avons point trouvé en France d'édition Bluray ni même DVD pour ce classique du schlock. Pour voir le film en VF, il n'existe comme support physique que l'antique VHS, sortie chez l'éditeur America sous le titre Panique sur Londres.
Pour profiter du film dans une copie correcte avec des sous-titres français, on pourra se tourner vers l'un des DVD de chez MGM, en édition solo ou en duo avec le croquignolet Yongary, Monstre des Abysses (un ersatz sud-coréen de Godzilla avec un dinosaure géant accro au pétrole et allergique à l'ammoniaque, qui danse le jerk sur de la musique yéyé quand on le châtouille !). Tout cela est en zone 1, hélas pour nos lecteurs et lectrices européens, mais heureusement pour nos lectrices et lecteurs canadiens. D'autres éditions blu-ray et DVD sont aussi sorties en Allemagne ou encore en Italie, mais sans VF ni sous-titres français.