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The Abominable

(1ère publication de cette chronique : 2021)
The Abominable

Titre original : The Abominable

Titre(s) alternatif(s) :Ice Kong

Réalisateur(s) :Patrick G. Donahue

Producteur(s) :David Huey

Année : 2006

Nationalité : Etats-Unis

Durée : 1h34

Genre : Le dernier des Kongs

Acteurs principaux :Heather DeVan, Jason DeVan, Nick Orefice, Hal Alpert, Patrick G. Donahue, Jason McNeil, Paul Delea, Howard P. Cabalfin

John Nada
NOTE
3/ 5

Découvert en Alaska, l’abominable homme des neiges est capturé par un braconnier sans scrupules, qui travaille pour le compte de laboratoires se livrant avec encore moins de scrupules à des expérimentations sur des primates. Activiste de la cause animale, la jeune et naïve Ally va entreprendre de sauver « Snowy », qui semble de son côté en pincer pour elle. Mais la présence d’une telle créature à San Francisco ne fait-elle pas courir des risques graves à la ville et ses habitants ?

Voilà pour le résumé objectif. Subjectivement, c’est un peu différent.

Découvert très mal incrusté dans des stock-shots d’une quelconque région enneigée, un type dans un costume en peluche blanc est capturé par un acteur surjouant comme un dément. Ce dernier est à la solde d’un individu en blouse blanche, un « scientifique » qui travaille dans un cagibi mal éclairé, avec une caisse en bois au sol, un tube en carton en guise d’incinérateur, un squelette en plastoc suspendu dans un coin, et un obsédant cri de singe passé en boucle en fond sonore. Le type dans son costume en peluche blanc ne risque t-il pas de semer la pagaille au milieu de quelques plans et stock-shots disparates de San Francisco ?

Le braconnier Jacko, interprété par un Nick Orefice qui cabotine terriblement. Le comédien feule littéralement chacune de ses répliques en grinçant des dents, toutes gencives dehors. Au point que le spectateur regarde les veines de son visage en se demandant constamment laquelle va éclater en premier.


Le laboratoire high tech d’un puissant groupe pharmaceutique.

Attention: des animaux!

Un incinérateur, composé d'un gros tube en carton et d'un fumigène.


Sorti dans la foulée du King Kong de Peter Jackson, The Abominable alias Ice Kong est produit par la firme Cine Excel. Et tout est dit ou presque. Cine Excel, pour ceux qui ne les connaissent pas encore, est un studio qui a sévi dans les années 1990 et 2000, avec un manque de moyens qui dépasse l’entendement. Dans l’histoire du cinéma bas de gamme, c’est une sorte de chaînon manquant entre le bricolage artisanal des productions Eurociné et les mockbusters en mauvais CGI d’Asylum. Dans la chaîne alimentaire de l’éco-système hollywoodien, Cine Excel est un peu l’équivalent du pluvier, ce petit oiseau qui picore les restes de nourriture coincés entre les dents des crocodiles. Leurs moeurs rappellent aussi celles des rongeurs ou des moineaux, venant furtivement grappiller quelques miettes dans le sillage des grands studios. Prenez la pleine mesure de ces chiffres : King Kong, le modèle, a été produit pour 207 millions de dollars (dont 20 millions rien que pour son réalisateur). The Abominable, la copie, aurait été produit pour 85 000 $ environ – et je pense honnêtement que c’est au-dessus de la réalité – soit 2500 fois moins.

Ce qui est fou avec Cine Excel, c’est qu’ils arrivent encore à nous surprendre. A chaque nouveau film, on a beau savoir que ça va être ultra-fauché, on a beau s’attendre à quelque chose de totalement misérable, on reste malgré tout sur le cul, systématiquement stupéfié par le niveau de pauvreté qui s’étale crûment à l’écran. Absolument tout est cheap : les effets spéciaux bien sûr, mais aussi les décors où les palettes en bois et les cartons vides règnent en maîtres, les accessoires en toc, la qualité d’image indigne d’un caméscope bon marché, la prise de son anarchique avec bruits de fond omniprésents… The Abominable n’est pas juste un « mauvais film sympathique », c’est un « mauvais film sympathiquement pitoyable » qui, par son dénuement extrême, son niveau d'indigence quasi-inédit, réussit l’exploit d’émouvoir le spectateur le plus cynique. Ce dernier, presque gêné par la misère noire du spectacle dont il est le témoin, sort par réflexe son porte-monnaie, prêt à jeter quelques pièces sur sa télé. Ces gens essaient de faire un film à grand spectacle sans en avoir les moyens, c’est drôle et triste à la fois.

Le plus cheapos, c'est encore quand les acteurs, censés être au port, discutent devant une photo de bateau, avec des bruits de mouettes ajoutés en fond sonore.

Les productions Cine Excel des années 1990 comme Future War ou Pocket Ninjas étaient déjà particulièrement indigentes, mais elles se payaient encore le luxe de tournages en 35 mm. Avec des chutes de pellicule achetées à bas coût, certes, des conditions de production apocalyptiques, une post-production interminable, mais au bout de ce marathon il y avait quelque chose qui ressemblait encore à peu près à un film, même fauché et ringard. A partir des années 2000, les budgets déjà très bas de Cine Excel semblent avoir encore pris une claque. Du 35 mm, on est passé au format vidéo DVCAM, qui donne ce look de soap opera de chaîne câblée sans le sou à The Abominable.

L’opérateur caméra (ou opérateur caméscope) se paye un caméo.

Les quelques acteurs un peu connus des premiers temps – comme le has beenMel Novak, les bisseux morts de faim Gerald Okamura et Robert Z’Dar, ou les jeunots sans expérience mais avec un certain charisme comme Gary Daniels ou Daniel Bernhardt – ont disparu. Sur Future War, Cine Excel n’avait eu les moyens de se payer Robert Z’Dar qu’une seule journée, et avait eu le culot de le faire travailler 16 heures de suite pour rentabiliser sa présence. Sur The Abominable, le studio ne peut même plus se permettre ce genre de folie : les acteurs sont tous des débutants prêts à travailler gratuitement pour acquérir de l’expérience, et des bénévoles tout contents de pouvoir jouer dans un film, aussi nul soit-il [lire à ce sujet notre interview avec Dom Magwili]

La nature hostile et ses dangers.

Des comédiens incrustés n’importe comment, avec un éclairage pas raccord et des voix qui sonnent comme si elles avaient été enregistrées dans les toilettes du métro.

Ally en danger de mort, suspendue au-dessus de 1000 mètres de vide glacé. Or is she?

Ça peut sembler dingue que des gens soient prêts à bosser gratuitement dans un film commercial, mais ça fait vraiment partie des fondamentaux des prods Cine Excel de cette époque : leur business reposait sur l'envie de nombreuses personnes de faire du cinéma à tout prix, donc gratos ou contre un simple repas. Et après tout, pourquoi payer des comédiens s’il s’en trouve qui soient prêts à jouer pour rien ? Les acteurs principaux, incarnés par le jeune couple Heather et Jason DeVan, illustrent bien ce profil, qui est un peu l’équivalent de ce qu’on appelle en football « des joueurs en recherche de temps de jeu ». Plutôt que rester sur le banc ou cantonnés à de la figuration, chez Cine Excel ils jouent les premiers rôles. Soyons honnêtes : ils s’en sortent avec les honneurs, malgré le ridicule fini des dialogues et situations, qui s’enchaînent pour eux comme un long chemin de croix.




La gentille Ally (Heather DeVan) veut défendre les mignons zanimaux. Pour nous permettre de pleinement appréhender la psyché du personnage, le metteur en scène nous offre quelques séquences riches tant sur le plan narratif qu’émotionnel. Comme ici où notre héroïne contemple longuement des photos de biche et d’ours polaire.

Au-delà des économies sur le casting, comment fait-on un film à la King Kong, mais avec 2500 fois moins d’argent que King Kong ?

- Avec une équipe technique réduite au minimum, à savoir un type à la caméra, un type au son, un type à la lumière, un type en coulisses pour gérer la logistique, et les frères Patrick et Sean Donahue (le héros de Blood Hands !) pour tout le reste, c’est-à-dire scénario, réalisation, interprétation, montage, et peut-être aussi pour préparer les sandwichs et passer la serpillère comme Ron Hall sur Vampire Assassin.

Le réalisateur Patrick G. Donahue, dans un rôle de marin pas très net.

- On meuble en faisant parler les comédiens autant que possible, et on les filme en gros plan pour cacher la misère des décors.

- Pour limiter les plans à effets spéciaux, on montre peu la créature. C’est une désillusion courante pour le nanarophile amateur de gloumoutes mais rassurez-vous, on la voit quand même assez pour rire tout son saoul. Elle s'exhibe surtout dans le dernier tiers du film, où le niveau de misère atteint du jamais vu, avec des fonds verts pitoyables, et un yéti dont la taille varie d’un plan à l’autre.

Faute d’Empire State Building, Snowy escalade la Tour Transamerica de San Francisco et se donne en spectacle comme une catin à trois sous.

Ally dans la main du Yéti, où l'art délicat de l'incrustation sur fond vert.

Détail qui tue : sur les gros plans, on a ajouté au yéti des yeux numériques, sans doute pour masquer ceux du comédien. Problème : le tracking est complètement à la ramasse, et ces yeux bricolés en post-prod’ ne sont jamais exactement centrés dans l’orbite. Comme mus d’une vie propre, ils flottent en surimpression sur la tête du monstre, et le jugement du spectateur flotte lui aussi, entre hilarité et consternation, sur la mer orageuse du cinéma débile.

- On pense développement durable et on recycle tout ce qu’on peut. Au niveau des costumes et des accessoires bien sûr, mais surtout en recasant des plans de presque tous les films Cine Excel précédents : un incendie de SWAT: Warhead One, des avions de chasse de GiAnts, quelques figurants qui courent tirés de Magma, une explosion de Future War, un plan en hélico au-dessus d'Alcatraz vu dans Reptilicant

Un incendie de SWAT: Warhead One.

Des figurants qui courent tirés de Magma.

Une explosion de Future War.

Un plan d'Alcatraz vu dans Reptilicant.


- Quand on ne peut pas recycler, on a recours à des stock-shots. Proviennent-ils d’une vraie banque d’images ? Rien n’est moins sûr, tant il s’agit de plans fugaces et de qualité très variable, qui semblent avoir été piqués à droite à gauche (on a de la pellicule, du numérique et même de la VHS !). Il y a notamment des plans flous et tremblotants de camions de pompiers et de voitures de police, qui ont visiblement été filmés à la sauvette et insérés à la zob pour donner l’impression que toutes les forces de l'ordre sont en état d'alerte face au yéti.

Entre deux stock-shots, on utilise aussi un jouet d'hélicoptère...


...qu'on ré-emploie plus tard en retournant l'image (d'où les lettres "CPD" à l'envers).


Cet improbable patchwork de plans recyclés et de stock-shots disparates, montés à la va-comme-je-te-pousse, constitue en soit un singulier numéro d’équilibriste. A l’écran c’est une ratatouille d’images, l’anarchie des faux raccords jour/nuit, un viol constant de la règle des 180°, un spectacle épileptique où vient même se perdre un plan de New York, avec les Twin Towers qui s’invitent dans la baie de San Francisco – où se situe l’action du film.

Les fameuses Twin Towers de San Francisco, en 2006.


Lâché par le réalisateur, le scénariste et les acteurs, le film titube comme un infirme à qui on a volé ses béquilles. L’intrigue chemine, cahin-caha. L’ensemble n’est pas loin de se casser complètement la figure, il tangue, son équilibre est précaire, mais il semble déterminé à aller jusqu’au bout. A 1h30 c’est la ligne d’arrivée, si proche, si loin. Le film souffre, le spectateur souffre un peu lui aussi, mi-amusé mi-consterné. Des images de moignons sanglants lui viennent à l’esprit. Allez Cine Excel, encore un effort, tu peux le faire !


Niveau effets spéciaux, Cine Excel donne tout ce qu’elle a.

C’est bien ça le plus fascinant chez Cine Excel, cette capacité à faire un film de type blockbuster avec rien. Et aller au bout du truc, arriver à le vendre et gagner juste assez pour mettre en chantier un autre film. Quels sont les débouchés de ces titres ? Qui achète et qui regarde ça ? Dom Magwili, impliqué dans la production de The Abominable, nous avait fait cette réponse : « Pour un public très sophistiqué, qui est habitué à des films d’aventures ou d’action du niveau de Star Wars, les films Cine Excel… et bien disons que ça ne va pas les intéresser. En revanche, si c’est juste pour meubler une grille de programmes, et que vous arrivez à vendre votre film dans des endroits comme la Yougoslavie ou Bangkok, ça ira très bien. Car dans ces pays-là, il y a un marché. Si vous arrivez à vendre en Turquie, ce sera déjà bien. » Voilà qui pose l’ambition du studio. Le pluvier n’a pas de gros besoins alimentaires.

Un joli lancer de mannequin numérique.

Aujourd’hui Cine Excel n’est plus active, son patron David Huey dit avoir tourné la page. La firme n’a plus produit grand chose après ce film, se contentant de distribuer quelques titres – notamment des réalisations des frères Polonia. De fait, The Abominable constitue une sorte de chant du cygne pour Cine Excel. Alors non, on ne va pas non plus s’extasier outre mesure devant une oeuvre dont la démarche reste purement mercantile, voire cynique. Mais ce qui sauve le film à nos yeux, c’est son ton, habité par un sérieux qui force le respect.

Un autre exemple d'incrustation soignée (notez les trous dans la tête de l'héroïne).

L’histoire est traitée avec ce premier degré inébranlable qui est la marque des vrais nanars, à mille lieux des mockbusters méta à la Sharknado, Dinocroc Vs. Supergator, Mega Shark Vs. Crocosaurus, Mega Python Vs. Gatoroïd, Sharktopus Vs. WhaleWolf etc. qui ont depuis inondé le marché. Aujourd’hui, Asylum, Syfy et consorts versent dans le méta rigolard, naze et fier de l'être, tout le monde fait dans le high concept éneaurme et sans âme à coups de Cobragator et de Terrordactyl, de Sand Sharks, Lava Shark ou Ice Sharks, de Zombie Shark et de Shark Robot, Atomic Shark, Ghost Shark, Psycho Shark, Shark Exorcist, de 2 et de 3 et de 5-Headed Shark Attack, des Shark-teub et des Shark-cacaprout parfaitement interchangeables et navrants et honnêtement on n’en voit pas la fin. A l’aune de cette triste déferlante, on réalise aujourd’hui à quel point Cine Excel faisait figure de petit village d’irréductibles, avec à sa tête David Huey en dernier des Mohicans du nanar.

Respect à toi, le dernier des Kongs.


Un grand merci à notre correspondant japonais Ryo Sato, qui nous a gracieusement envoyé un exemplaire DVD de la seule édition connue de ce film, celle sortie au pays du Soleil Levant.

- John Nada -

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Cote de rareté - 4/ Exotique

Barème de notation


The Abominable n'est a priori sorti sur support physique qu'au Japon, pays toujours friand de monstres géants, où l'éditeur "AMG Entertainment" l'a distribué en DVD en 2010 sous le titre Ice Kong (アイス·コング). Le film est proposé en version anglaise d'origine, avec sous-titres japonais optionnels, et la bande-annonce comme unique bonus.