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Teddy Page

(1ère publication de cette bio : 2006)

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 Teddy Page et Jim Gaines sur le tournage de Ninja Warriors (1985), que Teddy signe sous le pseudonyme de "John Lloyd" [photo fournie par John Delaney].


Teddy Page est un cinéaste qui fut essentiellement actif au Philippines à partir du milieu des années 80. Son nom reste attaché à celui de la firme Kinavesa, alias Silver Star Films, dont il fut l'un des réalisateurs vedette. Fondée aux Philippines par le producteur K. Y. Lim, dit Kimmy Lim, Kinavesa International fit un temps de Manille l'épicentre d'un séisme dont l'onde de choc porta très loin dans la nanarosphère, levant avec elle une déferlante de VHS racoleuses qui eût tôt fait de submerger nos bacs de supermarchés, puis, par un phénomène de réplique bien connu, noya bientôt les rayonnages des nos solderies et autres foires-à-tout.


Teddy Page, qui apparaît le temps d'un caméo dans « Laser Force ».


Teddy Page/Chiu dans Viva Bruce Lee alias Bruce and the Shaolin Bronzemen (1977), un film de bruceploitation avec Bruce Le tourné aux Philippines.

Richard Harrison, Max Thayer, Bruce Baron, Nick Nicholson, Don Gordon Bell, Romano Kristoff, Jim Gaines, Mike Monty, Mike Cohen, Willy Williams, David Light. Sans formation d'acteurs pour la plupart, car recrutés parmi la faune locale d'expatriés américains, ils furent les "stars" des films de la Kinavesa, donc de Teddy Page, chacun se voyant crédité, selon les films, d'un rôle en tête d'affiche ou d'un rôle de second plan, au gré d'un turn-over démoniaque orchestré par un Mr Lim peu avare de budgets dérisoires et de scénarii transparents. Des acteurs qui formaient une troupe bigarrée, à l'écran comme à la ville, indissociables de ces productions. Le nom de quelques-uns d'entre eux sur une jaquette VHS grossièrement maquillée en série B américaine, suffit à trahir la véritable origine du film aux yeux de l'amateur éclairé.


Une myriade d'acteurs qui ont en commun d'avoir tous joué dans un film de Teddy Page.


La masse de documentation existante sur un cinéaste étant généralement proportionnelle à la fortune critique que celui-ci a pu rencontrer, il va sans dire que les informations concernant Teddy Page ne courent pas les médiathèques. Ce n'est qu'au prix d'un vigoureux travail de sape effectué auprès de quelques bienfaiteurs survivants de l'âge d'or du nanar philippin que nous pûmes obtenir quelques renseignements. Que Richard Harrison, Max Thayer, Bruce Baron, Mike Monty, Eric Hahn, Henry Strzalkowski et Nick Nicholson en soit remerciés une fois pour toutes.


Teddy Page, à gauche, aux côtés de Max Thayer et de Jim Gaines (photo prise par Nick Nicholson).

Teddy Page est un pseudonyme. De son vrai nom occidentalisé Teddy Chiu, l'homme est, comme K.Y. Lim, d'origine chinoise. Engagé comme simple stagiaire non rémunéré sur les productions Kinavesa, le jeune Teddy accède au poste d'assistant à la mise en scène, d'abord dans des films du genre bruceploitation (« Le trésor de Bruce Le » de Joseph Kong) puis dans des films de guérilla, notamment sur « Opération Cambodge », film de baroudeur anti-Khmer mettant en vedette Richard Harrison et la playmate Tetchie Agbayani sous la direction de Jun Gallardo. S'il est difficile de dater précisément les productions Kinavesa, on peut supposer que les premiers pas de Teddy Page comme réalisateur se firent dans la foulée, en compagnie de Richard Harrison, aux alentours de 1983/1984, date de la présence de notre vengeur moustachu dans l'archipel. Trois films de Teddy Page portés à notre connaissance créditent, en effet, Richard Harrison : « Fireback », « Eliminator » et « Les Massacreurs ».


A noter que dans « Fireback », Richard Harrison côtoie Bruce Baron et, déguisé en ninja, possède un rôle prémonitoire puisqu'il tournera l'année d'après de nombreuses scènes de ninja dans les pitoyables films de Godfrey Ho à Hong Kong. Tandis que dans « Les Massacreurs », c'est Bruce Baron qui tient, cette fois, la vedette, Richard Harrison n'ayant que de très courtes scènes de conversations téléphoniques, prémonitoires elles aussi puisqu'il tournera l'année d'après de nombreuses scènes similaires… dans les pitoyables films de Godfrey Ho à Hong Kong. Ce n'est pas le seul lien que la série B des Philippines entretenait avec Hong Kong et il était fréquent que le personnel de HK, à l'image de Bruce Baron ou Bruce Le, s'investisse un temps dans le nanar philippin et réciproquement. Les films de la Kinavesa bénéficiaient par ailleurs du support technique du cinéma hongkongais, notamment pour ce qui concernait les travaux de laboratoire.


Ces films, comme les suivants, se situent dans la droite lignée des séries B d'action occidentales qu'elles cherchent à imiter, tentant de dissimuler (très mal) leur philippinitude à coups d'acteurs "américains" (dont l'indispensable "Black de service", rôle dévolu à l'habituel Jim Gaines, métis afro-américano-philippin) ou à coups de bannières étoilées ostensiblement tendues dans des décors faméliques. Le canevas narratif reproduit les archétypes et les saines valeurs des films de Golan et Globus (la vengeance, l'auto-défense, l'anticommunisme, les débats argumentés au M-16, le coup de pied dans les parties, etc.) pour, au final, ne plus présenter que l'aspect d'un bout-à-bout de scènes d'action déjà vues, revisitées à l'économie et s'enchaînant sans logique. La faiblesse scénaristique s'explique sans doute par le fait que la compagnie semblait peu se soucier de trouver des histoires originales et les protagonistes témoignent, du reste, que ces scenarii lamentables étaient souvent réécrits et achetés pour une misère à des collaborateurs défoncés au chanvre, souvent les interprètes des films eux-mêmes, tels que Don Gordon, Romano Kristoff, Jim Gaines, Paul Vance ou Steve Rogers.



Bien que les films de la Kinavesa apparaissent souvent mal écrits, mal faits et fauchés, on ne peut toutefois enlever à Teddy Page la volonté réelle d'avoir voulu livrer, au départ, des films où l'action est bien présente. Là où le tâcheron de base aurait multiplié les dialogues de remplissage usants et les stock-shots oiseux pour tenir 1h 15, Teddy Page met souvent un point d'honneur (un film comme « Laser Force » en témoigne) à proposer poursuites, combats et explosions jusqu'à épuisement du spectateur. Mais là encore, force est de reconnaître que le résultat est loin des intentions de départ, les films se dispersant invariablement en cascades mal réglées et en gunfights poussifs, les armes futuristes en carton et la démotivation des acteurs achevant de nanariser le projet. Une simple vision des films suffit à rendre compte de l'amateurisme qui pouvait régner sur les plateaux de la Kinavesa lors du tournage de ces scènes d'action, qu'on subodore sans peine avoir été réalisées dans des conditions plus que précaires. Les acteurs ne font que le confirmer. Ainsi Max Thayer témoigne que lorsqu'au cours d'un combat du film « Laser Force », un protagoniste avait dû traverser une baie vitrée, on s'était contenté de balancer un "cascadeur" au travers d'une vraie vitre ! Le même Max Thayer faillit bien passer de vie à trépas suite à un accident de tournage où une attaque à la grenade avait été simulée… avec une authentique grenade au phosphore ! Sur le même tournage, Nick Nicholson se souvient avoir eu à essuyer un tir à balle réelle lors d'une scène de cascade motorisée.


Plus généralement, Eric Hahn témoigne : « Sur les productions Kinavesa, on n’avait pas d’air bags. On tombait sur des tas de boîtes de cigarettes vides attachées ensemble par des cordes. L’air contenu dans les boîtes amortissait nos chutes. On n’avait presque jamais de câbles pour les impacts de balles. Il fallait nous propulser en arrière nous-même. On avait rarement des trucs perfectionnés pour les impacts de balles. Il passaient un câble sous nos chemises et l’accrochaient à un pétard et une poche remplie de sirop rouge. L’autre extrémité du câble était connectée à un bout de bois avec des clous, relié à une batterie. Quand le gars des effets spéciaux touchait un clou, les poches explosaient et on valsait. »


Richard Harrison garde, quant à lui, un souvenir maussade des conditions de tournage de son expérience philippine : « Je me suis sérieusement blessé au dos au cours d'une scène, et j'ai demandé à ce qu'on me donne une chaise pour m'asseoir. Il n'y en avait aucune sur ces tournages et j'ai dû m'allonger sur l'herbe mouillée. C'était d'autant plus rageant que lors d'un tournage antérieur, j'avais acheté des chaises pour les membres de l'équipe technique et les acteurs. J'ai alors décidé de ne plus jamais travailler pour Mr Lim. »


Mais c'est finalement Bruce Baron qui résume le mieux l'état d'esprit dans lequel ces films étaient tournés : « Les conditions étaient atroces. La bouffe était dégueulasse, les éclairages étaient une plaisanterie, les scénarios étaient caricaturaux et grotesques, mais il n'y avait pas d'entourloupes et c'était fait sans aucune prétention. (…) Il n'y avait pas grand-chose d'artistique là-dedans. Il s'agissait surtout de garder toute sa tête et de rester suffisamment sobre pour ne pas se blesser lors d'une scène de baston, d'effets pyrotechniques ou de cascade dans des bagnoles tellement déglinguées qu'elles auraient été recalées à n'importe quel contrôle technique. »


Teddy Page, en Tee-shirt bleu sur le côté droit de la photo, prise sur le tournage de « Laser Force » par Max Thayer.


A propos de la personnalité du réalisateur Teddy Page, les acteurs s'accordent toutefois à le désigner comme étant un bon bougre. Pour Bruce Baron, par exemple, il était « un jeune Chinois des Philippines qui avait alors une petite vingtaine d'années, (…) un mec bien qui tentait simplement de gagner sa vie et de nourrir sa famille dans un pays du Tiers-Monde. » Seul Nick Nicholson émet quelques réserves laconiques à propos du jeune réalisateur : « Travailler avec un Chinois n'est jamais facile. De plus, Teddy commettait souvent des bourdes qui coûtaient chères à Mr Lim. » Richard Harrison, dit, en revanche, avoir ressenti « de la peine pour Teddy Page, car le producteur ne le traitait pas dignement. » L'acteur se souvient d'un réalisateur très gentil mais fort mal considéré par un producteur méprisant avec le petit personnel et plus généralement avec les asiatiques n'ayant pas l'honneur d'être des chinois pur-sangs. Harrison assista ainsi à des préparatifs de tournage sous une pluie battante, où Teddy Page et ses techniciens étaient contraints de travailler tout de même, prenant des trombes d'eau sur la tête. Au vu des conditions spartiates imposées par la production, Teddy Page ne pouvait livrer qu'une piètre besogne. Notons également qu'il n'est pas, de tous les réalisateurs ayant œuvré dans la série Z made in Philippines, celui qui s'en sort le plus mal, ses films ayant au moins l'avantage (certes, plutôt à leurs dépens !) de distraire le spectateur, ce qui n'est pas le cas de la majorité de la production "bis" de l'archipel, laquelle exhale trop souvent le fade parfum du tubercule de nave. Et après tout, comme le sous-entend Richard Harrison, s'il s'était vu confier la réalisation d'une production décente, Teddy Page n'aurait-il pas réussi à accoucher d'un film correct ?

 


C'est ce que laisse penser l'une de ses réalisations de la fin des années 80, « Commando Phantom », film de guerre post-Vietnam réalisé pour la bien plus dispendieuse compagnie Regal Film (« Warbus », « Mission accomplie »…) où Max Thayer joue les Rambo génocidaires. Bien que parfaitement bourrin et handicapé dès l'origine par la teinture blondasse de Mike Monty, le film montre des qualités techniques qu'on ne soupçonnait pas chez l'auteur de « Ninja Mission ». Signe que Teddy Page n'est peut-être pas le tâcheron approximatif qu'on croyait voir en lui. Signalons que ce film, comme beaucoup des films suivants de Teddy Page, fut réalisé sous le pseudonyme de Irving Johnson (le vrai nom du basketteur Magic Johnson !) qui deviendra plus tard Ted Johnson, pour une raison restée obscure. Sous ces pseudonymes, Teddy Page livrera encore quelques films de guerre pour Kinavesa, puis, une mode chassant l'autre, des films de kickboxing (« Kickbox Terminator », ainsi que de nombreux sous-Bloodsport) pour le producteur David Hunt, dont la compagnie Davian Int. était également basée aux Philippines.


Depuis lors, Teddy Page semble avoir repris son vrai nom, Teddy Chiu, pour quelques réalisations et quelques téléfilms en association avec un acteur / scénariste / producteur du nom de Mike Cassey gravitant entre Manille et Hong Kong. Le dernier emploi en date de Teddy semble avoir été d'assister le Chinois Philip Ko (à qui l'on doit moult productions "2-en-1" de chez IFD en tant que réalisateur) dans l'une de ses réalisations (« Xtreme Warriors », en 2001). D'après Nick Nicholson, Teddy Chiu, "qui a toujours eu un problème de sur-poids", est décédé aux Philippines en 2008 d'une crise cardiaque.


De l'œuvre de Teddy Page il ne restera finalement que quelques VHS low price, aux visuels aussi chatoyants que leur duplication est minable, source d'amusement pour qui sait les regarder d'un œil ironique. Mais au fait, pourquoi tout cela ? Qu'est-ce qui a pu pousser tous ces gens, en dehors de leur éventuel absence de talent, de scrupules ou de clairvoyance, à produire de telles infamies ? Et pire encore, pourquoi s'est-il trouvé des distributeurs ou éditeurs pour proposer de tels objets filmiques qui ne sont que ruine de la raison ? Bruce Baron nous apporte une réponse : « Les films étaient tournés pour nettement moins de 50 000 $ US tout compris, en moins de 28 jours, et vendus comme de la “chair à Cannon”. K.Y. les emmenait aux marchés du film de Cannes ou Milan et les vendait à Golan & Globus, les patrons de Cannon, qui les refourguaient avec leurs Rambos et autres grosses productions sous forme de gadgets marketing : quand les distributeurs se plaignaient du prix de leurs gros films d'action, les gens de la Cannon leur fournissaient en prime deux ou trois bidules de Kinavesa, gratuitement, pour que l'achat de leurs gros films paraisse du coup plus avantageux. »


Dans les années 30 et 40, pour attirer le public, les exploitants prirent l'habitude de proposer en salles, et à un tarif avantageux, des double-programmes constitués le plus souvent d'un film de prestige suivi d'une bidouille sans nom qu'on désignait sous le terme de "série B". Comme on le voit, la Cannon, K.Y. Lim, Teddy Page et leurs troupes reproduisant les mêmes méthodes sur le marché du film ne sont finalement que les plus purs d'entre les purs, ayant redonné au terme "série B" son sens originel !

- LeRôdeur -

Films chroniqués

Filmographie

 

1999 - Anino / The Shadow

1998 - Murder On the Menu (TV)

1998 - The Resort Murders (TV)

1998 - Dangerous Passions (Tukso Ng Panahon)

1995 - Blood Ring 2

1992 - Big Boy Bato

1992 - King of the Kickboxers 2 (Fighting Spirit)

1992 - Angel in the Dark / Blood Brother 2

1991 - Blood Ring / Blood Fight 4

1991 - Eternal Fist / Fist of Steel / Death Zone - Blood for Blood

1990 - Escape to Nowhere / Platoon to Hell



1990 - Queen of the Kickboxer / Kickboxer Cop

1990 - Crime Stopper / American Force Fighter

1990 - Battle Geese / Escape to Nowhere

1990 - Blood Hands (id. / Kickbox Terminator)

1989 - Trigon Fire

1989 - Impaktita

1989 - Ultime Impact / Blood Chase (id.)

1988 - Blazing Guns

1988 - Final Reprisal



1987 - Movie in Action / Wartime

1987 - Ranger (Jungle Rats)

1987 - Commando Phantom (Phantom Soldiers)

1986 - War Without End

1985 - Black Fire (id.)

1985 - Double Edge

1985 - Laser Force, l'Arme Absolue (Deadringer)

1985 - Ninja Warriors

1984 - Ninja Mission (Ninja's Force / Bushido's Force)

1984 - Heroes for Hire

1984 - Eliminator (Blood Debts)

1983 - L'Exécuteur 2 / Fireback (id.)

1983 - Les Massacreurs (Hunter's Crossing)