Film de prof de karaté
« Chuck Norris et Jean-Claude Van Damme, ce sont des pitres. Moi je suis une vraie ceinture noire, je vais vous montrer que je peux faire mieux ! »
C'est en substance comment on peut résumer un syndrome particulier de crise de la quarantaine qui semble toucher spécifiquement les profs de karaté de villes moyennes, et qui nous a offert une belle collection de superbes nanars. Arrivés à l'âge mûr, certains mâles de l'espèce sont pris du besoin irrépressible de montrer au monde à quoi ressemblent les "vrais" arts martiaux, par opposition à ce que montre le cinéma hollywoodien et qu'ils considèrent comme du chiqué.
Les vanity projects d'arts martiaux : un univers aux richesses inspouçonnées, plein d'authentiques champions de cas ratés.
Et pour ce faire, une seule solution : ils vont faire leur propre film et se mettre en vedette comme les véritables maîtres qu'ils sont, aux muscles aussi secs et raides que la justice qu'ils vont prodiguer à mains nues.
Précision : On parle ici de karaté par facilité, mais le "prof de karaté" peut tout aussi bien enseigner le kung-fu, le kickboxing, le tae kwon do ou d'autres arts martiaux. On reste toujours toutefois dans des combinaisons poings-pieds assez classiques.
Déclinaison martiale de l'égosploitation, le "film de prof de karaté" comme tout genre digne de ce nom a ses codes et ses thèmes récurrents :
Un décor : une ville de province au charme bucolique, ancrée dans de saines valeurs de travail honnête et de voisinage respectueux, loin de la corruption et de l'avilissement des grandes métropoles. The Instructor nous emmène ainsi à Akron dans l'Ohio (185 000 habitants), Pushed too far nous fait visiter Greenfield, Indiana (25 000 habitants), tandis que Justice Ninja Style se déroule dans la charmante bourgade de De Soto dans le Missouri (6 500 habitants). Hors des Etats-Unis, Twin Dragon Encounter explore l'arrière-pays de l'Ontario (aux alentours de Pointe-au-Baril, 500 habitants) et Fatal Deviation nous fait découvrir les caves et les supermarchés de Trim en Irlande (9 000 habitants).
Trim : sa supérette...
...et sa fête foraine (judicieusement estampillée "enjoy the fun of the fair" pour les étourdis).
Un héros : le sensei du dojo du coin, également producteur, scénariste et/ou réalisateur du film. Pilier de sa communauté, souvent moustachu, c'est un homme (c'est toujours un homme) modeste, quadra ou quinquagénaire d'apparence ordinaire, totalement imprégné de l'esprit de discipline, de loyauté et de courage de son art martial, et passionné par le fait de transmettre ses valeurs et ses techniques à ses élèves. Il a peu l'occasion de le montrer dans ses cours, mais il est aussi expert dans le maniement d'armes blanches plus ou moins exotiques, voire carrément maître ninja secret ! Célibataire au début du film, il ne tarde pas à nouer une relation avec une femme plus jeune que lui, impressionnée autant par la rigueur de ses muscles que par celle de son caractère, et qu'il aura préalablement sauvé des griffes de quelconques malandrins.
Le port de la moustache est quasiment de rigueur dans le genre.
Des méchants : loubards, néo-nazis, trafiquants de drogue, catcheurs (!), racketteurs ou proxénètes selon les obsessions américaines du moment, ils sont la lie de l'humanité, de véritables salopards qui n'hésitent pas à s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants, molestant les premiers, kidnappant les secondes et vendant du crack aux troisièmes ! A leur tête se trouve un parrain départemental du crime vivant dans une villa cossue (avec piscine !), fumant le cigare et cabotinant comme un damné.
Loubards bigarrés...
...et parrain du crime désargenté.
Des passages obligés :
• Les élèves du prof d’arts martiaux embrigadés comme sbires dans son film, se faisant rétamer par paquets de douze par le Maître
• La démonstration de nunchakus, parce que les nunchakus c'est cool et en plus ça fait hommage à Bruce Lee
• Un plan affichant en gros le logo du dojo, avec l'adresse et le numéro de téléphone pour s'inscrire
• Une scène de cul gênante ostensiblement destinée à rassurer notre héros vieillissant sur sa capacité à lever autre chose que la jambe
N'hésitez-pas à faire arrêt sur image pour avoir le temps de noter le numéro de téléphone et les horaires d'ouverture.
Qu'est-ce qui est plus cool qu'un nunchaku ? DEUX nunchakus !
Autre caractéristique récurrente du film de prof de karaté : la mise en avant de son pedigree martial comme gage d'authenticité. Niveau marketing, comme son nom est parfaitement inconnu du grand public, le prof de karaté doit tout miser sur sa ceinture noire et ses médailles remportées dans des tournois locaux le dimanche pour prouver qu'il est un artiste martial label rouge, un vrai de vrai combattant, avec une street cred' acquise directement sur les tatamis. Quitte à parfois raconter absolument n'importe quoi pour se distinguer de la foule des autres tatanneurs, en s'inventant un palmarès ou des prouesses que le client de vidéo-club n'ira jamais vérifier.
Andy Bauman, propriétaire d'une salle de gym à à Scottsdale, Arizona, se présente ici comme « champion du monde de karaté kickboxing » et « Star de Ninja 2, Ninja 3, Night Kill ». Ne vous laissez pas abuser : il s’agit d’une vile et vaine tentative de faire mousser notre champion du monde de rien du tout, puisque ces films n’existent tout simplement pas !
L'accroche de Veredicto Implacable (1987) le proclame sans rougir : « Il y eut d'abord Bruce Lee, puis Chuck Norris, et maintenant arrive JOSE MANUEL EGEA », sobrement estampillé « le meilleur karatéka du monde ! »...
Niche au cœur d'une autre niche, le film de prof de karaté de province incarne pleinement l'exploration de "la face cachée du cinéma". N'existant par définition qu'aux marges du cinéma commercial, ce sous-genre a fourni un contingent impressionnant de nanars, dont certains parmi les plus cultes du site, avec très peu de vraies déceptions.
Les "films de profs de karaté" et apparentés chroniqués sur Nanarland :
Champagne and Bullets
Dragon Kickboxers
Fatal Deviation
Fight of Fury
Force Noire
Furious
Kárate contra mafia
Night of the Kickfighters
Twin Dragon Encounter