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Le glossaire du Pr. Ryback

Y comme …

Recyclage



Recyclage : moyen de transformer des substances et des matières en de nouvelles, afin de limiter les pollutions et la consommation de ressources liées à la fabrication de produits neufs.

Au cinéma, c’est surtout une méthode pratique pour réduire les coûts de production. Et absolument tout ou presque peut être recyclé.

Les décors : sur les grosses productions, comme ils prennent énormément de place, ils sont souvent voués à êtres détruits. Parfois, avant de disparaître, ils peuvent servir au tournage express d’une série B. Ou même deux. Ainsi la firme Eurociné a produit deux films en même temps, les délicats Elsa Fraulein SS (1977) et Train spécial pour Hitler (1977), en utilisant le même train, en partie les mêmes acteurs et quasiment le même scénario. Certains décors ont aussi été construits pour servir dans la durée. Les westerns paella et spaghetti ont ainsi beaucoup utilisé les mêmes décors de Western Town, notamment à Almeria ou à Tabernas, en Andalousie.

Poblado El Paso, devenu Mini Hollywood, est l'un des trois villages de western encore debout en Espagne, et n'a aujourd'hui plus que des activités touristiques. Construit en 1965 pour le tournage de Et pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, il a ensuite servi de décor, entre autres, pour Et pour quelques dollars de plus (1965), Le Bon, la Brute et le Truand (1966), Les Pétroleuses (1971), Soleil rouge (1971), Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre (1985) ou encore Blueberry, l'expérience secrète (2004).

Certains lieux de tournage, parce qu’ils sont pratiques et proches des studios, peuvent aussi apparaître à de nombreuses reprises. Ainsi, Hong Kong étant minuscule, les 2-en-1 ninja produits par IFD font très souvent appel aux mêmes lieux (un carrousel, un bout de parc avec une table de pique-nique, le bunker en ruines au sommet de Victoria Peak qu’on voit notamment dans Ninja Terminator et Hitman le Cobra). De même, certains intérieurs qui s’avèrent pratiques – parce qu’ils appartiennent par exemple au producteur – peuvent servir à de nombreux films. On a ainsi vu et revu le même salon, avec escaliers et flippers dans plusieurs comédies du début des années 1980.


« Y flippe ton vieux » (1982) de Richard Bigotini.



« C'est facile et ça peut rapporter... 20 ans » (1983) de Jean Luret.



« Adam et Eve » (1984) du même Jean Luret.


Soit cette maison appartenait à quelqu'un d'impliqué dans ces films, soit elle était dans le carnet d'adresse d'un de ces soutiers du nanar. D'après Jonathan Bidault, il s'agissait d'un appartement de luxe qui appartenait à Jacques Nivelle et son épouse (Jacques Nivelle qui joue notamment dans Le chouchou de l'asile, Chômeurs en folie ou encore C'est facile et ça peut rapporter... 20 ans). Ce même logement de standing aurait également servi de décor à Journal d'une maison de correction (autre film de Georges Cachoux avec Jacques Nivelle). Plus cocasse, cette maison ou appartement a également servi de décor à plusieurs films porno de l'époque :




« L'ouvreuse n'a pas de culotte » (1980) de Michel Caputo.


« Filles de luxe » (1981) de Michel Barny.


« Bourgeoises par devant, putains par derrière » (1980) de Michel Caputo.


« Une femme d'affaires très spéciale »


Les costumes : les exemples de ré-emploi sont innombrables, et certains sites comme Recycled Movie Costumes s’amusent à les répertorier. Après tout, pourquoi jeter si ça peut resservir ? Dans le domaine du nanar, on a ainsi pu remarquer que dans le post-apocalyptique Dune Warriors (1990),  David Carradine porte au début du film la même tenue rouge et noire et la même épée qu'il avait dans Kaine le Mercenaire (1984), une autre production de Roger Corman, dont des plans avaient par ailleurs déjà été recyclés dans Les Magiciens du Royaume perdu II (1989).

David Carradine et sa tenue rouge et noire dans Kaine le Mercenaire (1984).


Avec la même tenue et la même épée dans le post-apocalyptique Dune Warriors (1990).

Les accessoires : là aussi les exemples ne manquent pas. Parmi les plus rigolos, on s’est rendu compte que pour fabriquer Cyberstorm, le DJ robotique ringard de Vibrations, la prod avait recyclé le costume de The Vindicator alias Frankenstein 2000, une petite production canadienne de 1986 qui s'efforçait, comme tant d'autres, de surfer sur le succès de Terminator.

"Vindicator" (1986), et sa tête de robot premier prix.

"Vibrations" (1996). Mis à part la visière qui a été opacifiée, il s'agit bien du même costume.

Autre exemple amusant chez les Italiens, avec les masques d’extraterrestres d’un space opera qui vont venir des spectres dans un univers d’heroic fantasy.

Ces deux extraterrestres vus dans le sous-Star Wars "Star Odyssey" (1979) d’Alfonso Brescia…

…sont également les têtes des fantômes qui harcèlent le héros du sous-Conan "Thor le guerrier" (1983), de Tonino Ricci.


Toujours chez les Italiens, les masques de goblins de Troll 2 (1990), de Claudio Fragasso, ont également servi à muscler le bestiaire de Ator 2 alias Ator l'invincible (1990), de Joe D'Amato (qui a produit Troll 2).

Chez les producteurs sans le sou, même les accessoires les plus modestes peuvent faire carrière. Domingo Magwili s’émerveillait en interview sur la débrouillardise et l’inventivité de David Huey, producteur de la très modeste firme Cine Excel. « Il avait acheté trois énormes tubes en carton qui faisaient environ un mètre de diamètre, et il les a utilisés dans toutes ses productions. Dans un film, ces tubes sont devenus des tunnels à travers lesquels rampaient les acteurs. Dans un autre, c’était des piliers de passerelle d’autoroute. Dans un troisième film, ces tubes devenaient des colonnes pour meubler l’arrière-plan… »

Des tubes en guise de tunnels dans Reptilicant...


...et dans GiAnts.


Encore des tubes pour créer une entrée là où il n'y en pas dans Vampire Assassin.

Toujours des tubes (et un fumigène) pour faire un incinérateur dans The Abominable.

Il ne faudrait pas croire pour autant que les ré-emplois d’accessoires concernent uniquement les films fauchés. Les productions s’approvisionnent aux mêmes adresses, les accessoiristes ont les mêmes réseaux, et fatalement certains objets se retrouvent plusieurs fois à l’écran. C’est le cas notamment de ceux fabriqués par John Zabrucky, fondateur de Modern Props, une boîte hollywoodienne qui fournissait des accessoires à plein de films et de séries, et s'était plus particulièrement spécialisée dans le domaine de la science-fiction. On doit ainsi à John Zabrucky certains accessoires mythiques de Blade Runner, Star Trek, Ghostbusters, RoboCop ou encore Men in Black. Du début des années 1970 à 2020, année où il a pris sa retraite et fermé boutique, il a ainsi construit et loué des milliers d'accessoires, dont un magnifique laser de la mort qui tue.



Il a été conçu à l'origine pour The Ice Pirates (1984).

On l'a également vu dans la série Tonnerre Mécanique (1985), plus exactement dans l'épisode N°9 intitulé Trafic (Hot Target en VO), mais avec un rayon rouge.



Il a plus tard servi dans Night of the Kickfighters (1991).


On l'a revu par la suite dans Richie Rich (1994), une comédie avec Macauley Culkin.


Et également dans l'épisode 18 de la saison 5 de la série Sliders, Les Mondes parallèles (1999), avec quelques petites modifs.

Ce beau joujou n'est pourtant pas le plus connu des accessoires conçus par John Zabrucky. Le plus populaire aurait servi dans paraît-il plus d'une centaine de productions (films, clips, séries), parmi lesquelles Austin Powers, Star Trek, K2000, Y a-t-il enfin un pilote dans l'avion ? 2, L'incroyable Hulk, Star Crystal, V, L'homme qui valait 3 milliards etc. Un objet désormais devenu culte au point d'être affectueusement surnommé "The Most Important Device In The Universe", et qui peut s'enorgueillir d'avoir une carrière à l'écran dont rêveraient bien des comédiens. Quand on sait que ce bidule se louait 775$ la semaine, on se dit que son coût de fabrication a dû être sacrément bien amorti...


Sur Youtube, un fou furieux a même fait une réjouissante compilation d'extraits des films et séries où on voit cet étrange objet (en 3 parties).
 


 

Et bien entendu, les accessoires eux-mêmes sont souvent issus de matériaux de récup' ! Les armes utilisées dans l'actionner ougandais Who Killed Captain Alex? (2010) ont été taillées et assemblées à partir de bouts de bois et de métal, puis peintes. Le réalisateur Isaac G. G. Nabwana a même fait du recyclage pour le matériel de tournage, transformant un vieux cric de levage en trépied pour sa caméra.

Une pétoire bricolée avec deux tubes, un chargeur constitué d’une vieille casserole, et une ceinture de munitions en vrai bois d’arbre.

Et pour le tournage du très fauché Dans les Griffes du Dragon d’Or (1992), quand le producteur délégué Bill Mills a dû transformer une pièce nue en chambre d’hôpital, il a eu recours à la récup' et au système D. « Comme nous n’avions évidemment aucun équipement médical, là encore il a fallu improviser. J’ai bricolé un truc à partir d’un couvercle de glacière en polystyrène, que j’ai peint de couleur argent, et dans lequel j’ai planté quelques touches et boutons. J’y ai ajouté une rallonge de casque audio – un de ces vieux modèles qui avaient un boîtier pour régler le volume – et on a accroché ça au-dessus du lit du patient. Quant à la perfusion, c’était juste une bouteille d’eau minérale en verre, qu’on a retournée et accrochée à un pied de micro. Toute la magie du cinéma ! »

Une chambre d'hôpital bricolée avec presque rien. On peut voir le couvercle de glacière en polystyrène au-dessus du lit, et la perf / pied de micro dans le coin à gauche.

Le recyclage au cinéma s’étend également aux éléments plus immatériels d’un film, comme sa bande-son. Cela concerne entre autres les bruitages, comme ceux des coups de poing ou coups de feu. L’exemple le plus connu est sans aucun doute le fameux « cri de Wilhelm », à savoir le cri d’un homme qui chute et a servi dans des dizaines de productions, de Star Wars à Indiana Jones, au point de devenir une sorte de référence amusante, comme un clin d’oeil que se plaisent aujourd’hui à placer certains réalisateurs dans leurs films. La bande-son, ce sont aussi bien sûr les musiques, dont les exemples de ré-emploi sont nombreux. Dans le domaine du nanar, on citera la chanson Have Look qui sert de générique à la comédie Mon curé chez les Thaïlandaises (1983) (en écoute dans notre playlist nanarde), et sera recyclée dans une version quasi-instrumentale pour le mondo  Saint Tropez interdit (ils ont juste rajouté "Saint-Tropez, Saint-Tropez" dans le refrain pour faire bonne mesure).



Citons également la BO de Rayon Laser / Laser Blast (1978), composée par Richard Band et Joel Goldsmith, et qui servira plus tard pour Robot Holocaust (1987), les deux films ayant été produits par Charles Band. Les musiques dites « libres de droit », comme celles des labels KPM, Tele Music et surtout De Wolfe Library, reviennent également très souvent.

Vu le budget alloué aux costumes, on comprend qu'ils n'aient pas pu se payer un compositeur.

Les exemples les plus extrêmes nous viennent sans doute de Turquie où Kunt Tulgar, réalisateur de Süpermen Dönüyor (1978) et surtout responsable de la bande-son de nombreux films de Çetin Inanç comme Dünyayi Kurtaran Adam alias Turkish Star Wars (1982), Son Savasçi (1982) ou En Büyük Yumruk (1983), nous racontait pour Nanaroscope qu’il empruntait les pellicules 35 mm dans un cinéma d’Istanbul pour en prélever des bouts de son et d’images, certains bruitages de Star Wars ou de Flash Gordon se trouvant ainsi ré-utilisés dans de nombreux films sur lesquels il a travaillés. Dans les films de Çetin Inanç, on entend toujours exactement le même crissement de pneus pour les courses-poursuites, et toujours les mêmes bruitages pour les coups de pieds et les coups de poings, piqués au western La Chevauchée vers l'Ouest alias Morts ou vifs mais de préférence morts (1969) de Duccio Tessari. Pour les musiques, Kunt Tulgar exhibait chez lui sa collection de vinyles de BO de films hollywoodiens et déclarait en rigolant : « ça ce sont tous mes compositeurs, ils ne le savent pas mais ils ont fait la musique de tous mes films ! ». C’est comme ça que le thème composé par John Williams pour Indiana Jones est également devenu celui de L’homme qui va sauver le monde



Dans Ejderin İntikamı et Aç Kartallar (tous deux de 1984), films de bruceploitation qui mettent en scène un hilarant Bruce Lee turc (sans doute le seul clone de Bruce Lee qui ne soit pas asiatique et qui ait les dents du bonheur), on retrouve des musiques et surtout des bruitages de cris du vrai Bruce Lee ! C’était déjà le cas dans Lion Man (1975), où la technique Shaolin du sampling faisait résonner la musique de Opération Dragon (avec les cris de Bruce Lee sur la bande-son, sinon ça ne serait pas drôle) pendant les combats de Cüneyt Arkın. On ne peut en fait trouver cette bande-son que sur les copies en VO, les éditions en français, en anglais ou en allemand ayant odieusement censuré ce plagiat musical. A la place, on se retrouve avec un autre plagiat : celui des ballets Gayaneh et Spartacus du compositeur soviétique Aram Khatchaturian ! Si les Turcs se sont avérés être de grands champions du sampling barbare, ils ne sont évidemment pas les seuls. L’industrie de Hong-Kong a elle-aussi pendant longtemps « emprunté » des morceaux de musique pour compter la trame sonore de ses films, tandis qu’en Inde, les plagiats musicaux – surnommés « Bolly songs » – ne manquent pas (voir la rubrique du 65ème épisode d’Escale à Nanarland).

Cüneyt Arkın est Bruce LeeLion Man !

Le recyclage concerne aussi les scénarios. A titre d’exemple parmi tant d'autres, on citera Cirio H. Santiago et ses post-nukes complètement interchangeables, tournés dans les mêmes lieux avec les mêmes équipes, sur le même canevas narratif calqué sur la trame de Mad Max 2. Le réalisateur philippin était par ailleurs adepte du recyclage de plans, des scènes de combats se retrouvant ainsi à la fois dans Les Roues de Feu (1985), Equalizer 2000 (1986), Dune Warriors (1990) ou Raiders of the Sun (1992). De nombreux autres réalisateurs et producteurs ont fait de même, comme Marius Lesoeur de Eurociné, David Huey de Cine Excel, Lloyd Kaufman de Troma ou encore Roger Corman, qui produisait d'ailleurs les post-nukes de Cirio H. Santiago. Joseph Zucchero tenait un rôle à l'écran dans Raiders of the Sun, mais il en a surtout réalisé le montage, et nous confirmait la méthode de recyclage : « Raiders of the Sun, which I edited, was a ton of fun. We used a lot of action footage from Cirio's previous movies: Dune Warriors, Wheels of Fire, Equalizer, etc., which of course saved Roger a ton of money. I'm sure he was delighted! » Effectivement, on imagine mal le producteur Roger "un sou est un sou" Corman s'indigner d'une telle méthode...



Les Roues de feu (1985).



Raiders of the Sun (1992).



Dune Warriors (1990).



Raiders of the Sun (1992).

Nick Nicholson dans Equalizer 2000 (1986).



Nick Nicholson dans Raiders of the Sun (1992) : par la magie du stock-shot, on le retrouve à la fois acteur et figurant.


Autre studio, mêmes méthodes : pour faire tenir debout The Abominable alias Ice Kong (2006), Cine Excel fait feu de tout bois en recyclant costumes et accessoires mais surtout en recasant des plans de presque toutes les productions Cine Excel précédentes : un incendie de SWAT: Warhead One, des avions de chasse de GiAnts, quelques figurants qui courent tirés de Magma, une explosion de maquette de Future War, un plan en hélico au-dessus d'Alcatraz vu dans Reptilicant



A vrai dire, le recyclage de plans a depuis longtemps été institutionnalisé, et il convient de distinguer le recours à des stock-shots ou plans issus de banques d'images dédiées comme Getty Images, le ré-emploi de plans issus d’une production antérieure dont on possède les droits, et le ré-emploi complètement sauvage et frauduleux.

Avec des bouts de films anciens, on peut faire des économies. Dans Dracula contre Frankenstein, Al Adamson, margoulin futé, a ainsi recyclé des bouts d'un film commencé deux ans plus tôt, et laissé inachevé par manque de confiance des producteurs : surfant sur la vague de son précédent "triomphe", Satan's Sadists, le maître avait en effet mis en chantier un film d'horreur avec motards mettant en vedette Russ Tamblyn, ancien jeune premier de West Side Story tombé dans le nanar. Le projet ayant capoté, Adamson en lança un nouveau, cousant les scènes déjà tournées avec le gang de motards sur une intrigue grand-guignolesque réunissant les monstres classiques du cinéma d'horreur. Le résultat, assaisonné de numéros musicaux avec en vedette madame Adamson, de scènes "branchées" toutes droit sorties d'un beach-movie californien et de scènes gore toutes plus risibles les unes que les autres, est d'une nanardise si intense qu'elle en coupe parfois le souffle.

Le Comte Dracula (oui, il était coiffé comme ça dans les années 1970).


La créature de Frankenstein.

Et puisqu'on parle de recyclage, il y a aussi le costume de The Mighty Gorga (1969) qui est ré-utilisé !

L’abominable La Pension des Surdoués refourgue sans rougir des séquences d'un autre film, Hommes de joie pour femmes vicieuses, qu'avait réalisé le même Claude Plault alias Pierre Chevalier cinq ans auparavant pour le compte de la société Eurociné, également productrice de cette comédie. Et que dire de Clodo, innocente comédie animalière pour enfants avec Bourvil et du chien nommé Clodo, devenue Clodo et les vicieuses alias La Belle et le Queutard après l’ajout de scènes pornographiques ! On aborde là les techniques indélicates de l’insert et du caviardage.

Au départ il y avait Clodo, un innocent film pour enfants avec un chien.
Et puis...


Parmi les réalisateurs et producteurs réputés pour leur science du recyclage, on citera également l'Italien Bruno Mattei, expert dans l'usage du stock-shot et l'art de photocopier les succès hollywoodiens, Jim Wynorski, ou encore Fred Olen Ray, qui semble parfois jouer avec le feu. Dans son film catastrophe Submersion (2000), toutes les séquences un peu spectaculaires sont en fait tirées du troisième opus de la saga Airport, Les Naufragés du 747 alias 747 en péril (1975) de Jerry Jameson, avec en prime une course-poursuite en voiture intégralement piquée à La Mutante de Roger Donaldson. Dans Alerte Finale (2001), Fred Olen Ray recommencera en puisant cette fois de nombreux plans du côté de Terminator 2 (sans même chercher à masquer le nom "Cyberdine Systems" !) et Universal Soldier... Difficile d'imaginer qu'il ait eu les droits ou l'autorisation de piocher dans ces productions à gros budget.

Le jeu des différences : ici une image tirée de Rambo 3 (1988)...

...et là de The Marine (2007). Oui, c'est le même hélicoptère HIND (en fait un hélicoptère PUMA trafiqué, avec un rajout d'ailes portantes pour les bombes) mais surtout exactement le même plan.

Ici on parle de cinéma mais le même genre de pratiques existe bien entendu à la télévision (voir le cas bien documenté de la série Automan (1983-84), qui recyclait à fond les ballons  des bouts d'épisodes de Manimal (1983)). Il serait fastidieux et illusoire d'espérer pouvoir tous les citer, mais parmi les nanars que nous avons pu voir et qui abusent vraiment sur le recyclage, on trouve en bonne place Gladiator Cop, sorte de 2-en-1 assemblé à partir de rushes non utilisés et de scènes du Maître d'armes, et sans aucune nouvelle scène de Lorenzo Lamas par rapport au Maître d'armes (l'acteur a t-il été payé pour un ou deux films ?), ou encore le slasher turbo-débile Douce nuit, sanglante nuit 2, qui n'hésite pas à recycler 30 à 40% de scènes du premier.

En somme le mathématicien et chimiste Antoine de Lavoisier avait déjà tout compris lorsqu'il affirmait dès la fin du 18e siècle que « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

A Hong Kong, les studios Filmark et IFD, faux frères et vrais rivaux, ont poussé loin l’art de la récup’ en l’élevant carrément au rang de processus industriel. Dans les années 1980 et jusqu’au tout début des années 1990, ils vont usiner des dizaines et des dizaines de films de ninjas conçus sur le même modèle : on tourne à la chaîne quelques scènes d’action avec des Occidentaux déguisés en ninjas, puis on les insère dans un film plus ancien dont on a (normalement) acquis les droits : tantôt un polar taïwanais ou thaïlandais, tantôt un film fantastique coréen ou un film de guerre philippin. Pour lier les différentes sources entre elles, on a recours à des subterfuges bien rodés (personnages de deux films différents dialoguant au téléphone, champs / contre-champs entre personnages qui à l’origine ne sont pas dans le même film) et pour donner un semblant de cohérence à l’ensemble, on redouble le nouveau montage ainsi obtenu. Au départ, Filmark et surtout IFD tournaient majoritairement avec de vrais acteurs comme Richard Harrison, mais vers la fin ils avaient de plus en plus recours à des touristes de passage à Hong-Kong et des backpackers ahuris. Les scènes qu’ils tournaient avec des Occidentaux se sont quant à elles réduites de plus en plus : de 30 à 35% de nouvelles scènes dans les premiers « 2-en-1 » on est passé à 25%, 20%, voire 10% du métrage final. L’arnaque absolue.


Richard Harrison dialogue avec le personnage d'un autre film, grâce à son magnifique téléphone Garfield mais surtout grâce à la méthode du « 2-en-1 ».

Encore plus fort : parfois, avec uniquement des bouts de films anciens, on peut faire un film complet ! Le même studio IFD dirigé par Joseph Lai produisait également d’abominables dessins mal animés, dont il sous-traitait l’exécution en Corée. Non content d’inonder le marché des productions pour enfants avec des daubes copiant sans vergogne les succès populaires de l’époque (Transformers, Capitaine Flam, Albator…), il poussera le cynisme jusqu’à en recycler un grand nombre dans Space Thunder Kids, qui est en quelque sorte non pas un 2-en-1 ou un 3-en-1 mais… un 8-en-1 !

Space Thunder Kids, c'est le méchant du Sauveur de la Terre qui décide d'envahir la galaxie. Pour ce faire, il envoie ses généraux attaquer la Terre chacun de leur côté avec une armée. Et les généraux en question ce sont tout simplement les grands méchants des Défenseurs de l'Espace, des Aventuriers du Système Solaire et des Aventuriers de la Galaxie. Évidemment en face les gentils de chacun de ces films sont également de la partie. Ajoutez à ça des bouts des Protecteurs de l'Univers, des Transformeurs de l'Espace et des Conquérants du Cosmos (oui, les titres originaux ne sont pas le plus gros point fort du père Lai), saupoudrez avec une autre source inconnue par chez nous (on n'ose dire « originale »), et vous obtenez le patchwork d'images le plus hallucinant qui ait jamais été produit et commercialisé.


Encore plus poussé et plus audacieux : le recyclage d’un film entier ! L’exemple le plus connu est sans doute le What's Up, Tiger Lily? de Woody Allen, sorti en 1966, qui reprend et détourne un film d’espionnage japonais de 1964, Kokusai himitsu keisatsu: Kayaku no taru. Dans le domaine du nanar, citons La Dialectique peut-elle casser des briques ? (1973), à la base un film de kung-fu tout ce qu’il y a de plus classique, qui transforme via un nouveau doublage une banale bataille entre un petit village et de vils salopards en pamphlet sur la lutte des classes et ses limites idéologiques ! Un détournement militant et curieux que l’on doit à René Vienet, un grand désenchanté du communisme rallié à la doxa situationniste. « Qu’on se le dise : tous les films peuvent être détournés, tous les navets, les Varda, les Pasolini, les Caillac, les Godard, les Bergman, mais aussi les bons westerns spaghettis, et tous les films publicitaires ! » déclarait-il à l’époque. Notre homme réitérera à plusieurs occasions avec son complice Gérard Cohen, notamment avec un pinku-eiga japonais de Norifumi Suzuki, Le Pensionnat des jeunes filles perverses, qui se verra re-baptisé Les filles de Kamaré.



Citons également le cas de Ferocious Female Freedom Fighters (1982). A l’origine, il s’agit d’un film d’arts martiaux indonésien tout ce qu’il y a de plus sérieux et premier degré nommé Perempuan Bergairah, avec Barry Prima en tête d’affiche. Charles Kaufman, frère cadet du pape de la Troma Lloyd Kaufman, n’est pas convaincu par le film qu’il décide de détourner avec un humour pas très finaud. Il ré-écrit et fait entièrement redoubler les dialogues, ajoute des blagues pouet-pouet, des bruitages outrés, fait parler les personnages avec des accents ridicules (le héros parle comme Elvis Presley) etc.



Pour servir de contrepoint, on citera un rare cas de rétro-pédalage sur le recyclage, qui a donc parfois ses limites. Interrogé sur la genèse des Sept gladiateurs (1983) et des Aventures d’Hercule (1985), deux films avec Lou Ferrigno produits par la Cannon, Luigi Cozzi nous expliquait : « Le problème des Aventures d’Hercule est que ce film est né comme un puzzle, une mosaïque. Lou Ferrigno avait tourné pour eux Les Sept gladiateurs, réalisé par Bruno Mattei, mais le produit fini ne leur plaisait pas. Ils m’ont appelé et m’ont dit "On a Les Sept gladiateurs, mais c’est de la merde : on veut que tu nous aides à enlever quarante minutes de film. Tu tournes deux semaines avec Ferrigno, tu enlèves des scènes et tu en rajoutes des nouvelles." J'ai dû d'’abord décider quoi enlever, puis écrire de nouvelles scènes qui s'’intégreraient au reste. Puis la Cannon a changé d’idée et m’ont dit : "Et si au lieu de deux semaines avec Lou Ferrigno, on t’en donnait quatre ? Tu enlèves le reste des Sept gladiateurs et tu nous fais un film complet !" Donc j’ai dû réécrire, et tout le film était écrit comme un puzzle. Je n’avais pas l’habitude d’écrire comme ça. Le scénario se résume à une succession d’épisodes. Il est intéressant du côté des effets spéciaux, mais il a ce problème : ça va de dix minutes en dix minutes. Lou Ferrigno n’était pas content, car au final ils lui ont fait tourner deux films pour le prix d’un. »



Et puis on a parlé de pellicule imprimée mais le recyclage concerne aussi la pellicule encore vierge. Les tournages des films à gros budgets utilisaient des bobines 35 mm neuves. Quand le tournage d'une scène ou d'un plan était terminé, pour ne pas risquer d'être à court de pellicule en plein tournage de la prise suivante, on rechargeait généralement une bobine neuve dans le magasin de la caméra. Quand les bobines partaient au labo pour y être développées, on récupérait la partie de la pellicule vierge (la chute) et on la mettait de côté. Les chutes de pellicule non utilisées étaient ensuite revendues à bas coût et utilisées sur de nombreuses petites productions. Plus elles étaient courtes, moins elles étaient chères. Jean-Marie Pallardy, notamment, tournait ses films érotiques avec des chutes. Tony Doublin nous a confié que sur le tournage de Future War, à l'époque où Cine Excel tournait encore en 35 mm, « On filmait avec des chutes de pellicule qui étaient parfois tellement courtes que le temps de dire "moteur !" et démarrer la caméra, il n’y avait déjà plus de pellicule dans le chargeur. C’était dingue ! »

Dans le domaine de l’édition, le recyclage concerne également les VHS : des éditeurs margoulins comme Initial étaient connus pour faire des copies des films d’autres éditeurs, et les sortir sur le marché avec un nouveau titre et un nouveau visuel. Jean-François Davy, patron de Fil à Film, nous a même raconté qu’en rachetant certains titres à d’autres éditeurs concurrents comme Initial et ses nombreuses sous-marques, il s’était rendu compte qu’il avait en réalité acheté des titres qui étaient déjà en sa possession !

Le recyclage enfin concerne également les visuels de films, c’est-à-dire les affiches et jaquettes des VHS et DVD (voir à ce titre la définition jaquette volante de notre glossaire) : certains illustrateurs copiaient parfois une pose ou une tendance (un gros costaud avec un bandeau rouge, une grosse mitraillette dans les mains, et un hélico en arrière-plan pour faire comme Rambo 2). Parfois ils recopiaient un bout d’affiche - une arme, un bras, l’élément d’une photo. Et parfois, c’était ni plus ni moins qu’un parfait copié-collé.

Le visuel original de Atomic Cyborg (1986), un ersatz italien de Terminator avec le monolithique Daniel Greene. Cette superbe affiche a excité l’intérêt de nombreux illustrateurs en herbe.

La VHS espagnole de La Caza, qui transforme notre Cyborg en personnage de western.

CY Warrior (Cyborg - Il guerriero d'acciaio, 1989). Le film dont il est ici question est un autre avatar italien de Terminator, donc il faut admettre qu’il y a une certaine logique dans la démarche. Mais là où le visuel original restait relativement sobre quant à la nature cybernétique du héros, ici l’illustrateur a baissé son pantalon et s’est consciencieusement assis sur la finesse et la subtilité. Au passage, le cyborg s’est fait une petite couleur et s’est visiblement trompé de cirage sur son perfecto. Et que dire de cette perspective à la Escher, l’arme du cyborg ayant sans doute elle-aussi été piquée à un autre film…

Hardware (1990). Là, on est sur une copie de deuxième génération. C’est-à-dire qu’au lieu de copier l’affiche originale, le cancre de service a copié la copie ! Et que j’te rase le crâne, et que j’te rajoute une manche à ton blouson, ni vu ni connu j’t’embrouille. Heureusement, en pur esthète, il a eu le bon goût de ne pas toucher au fusil, considérant sans doute qu’il était parfait ainsi.

Ninja USA alias Ninja Territory (Ninja Demon's Massacre, 1988). Cette fois-ci ça devient vraiment n’importe quoi. « Le ninja du futur dans le monde d’aujourd’hui » proclame fièrement cette édition VHS espagnole, sur laquelle notre cyborg subit les derniers outrages. Par chance, le fusil s’en sort indemne et conserve inviolé le secret de sa folle perspective.

Il arrivait également que des éditeurs flemmards, incompétents, sans idée ou étourdis fassent des copiés-collés des photos d’exploitation au dos des jaquettes ou, plus drôle, des résumés des films, voire des crédits des acteurs. L'éditeur vidéo français Colombus était en particulier réputé pour ses jaquettes volantes, qui étaient un tel méli-mélo qu'il était impossible de savoir ce que contenait réellement la VHS avant de l'enfourner dans son magnétoscope.

On n'a même pas abordé le cas des éditions pirates, mais là aussi le recyclage est la filouterie vont de pair. Ici, un VCD chinois de Alien Species où se plastronnent deux Darth Vader.

Là, c'est Indiana Jones est son fameux fouet glaive, co-starring Alfred Molina.
Mmmh, sans doute un épisode de la franchise qu'on a dû manquer...


Pour approfondir le vaste sujet du recyclage dans le domaine des mauvais films sympathiques, nous vous invitons également à lire d’autres définitions de notre glossaire comme Plagiat, Mockbuster ou encore Bollycat.


Black Star and the Golden Batman, un bien bel exemple de plagiat en provenance de Corée du Sud...

...qui ne constitue bien entendu pas un cas isolé...

...le Pays du matin calme ayant plagié à tort et à travers (cette magnifique Tortue Ninja est tirée de Our Friend Power 5).