Dinosaure
Les dinosaures sont des reptiles qui ont régné sur Terre en des temps que les gens de 20 millions d'années ne peuvent pas connaître. Parce que leur existence est bien réelle, le dinosaure n'est pas à proprement parler une créature "fantastique", mais ses proportions gigantesques et sa disparition en font une espèce mythique, frappant l'imaginaire, et suscitant évidemment un grand intérêt auprès des cinéastes. Quoi de mieux que le cinéma pour les ressusciter ?
Le bestiaire du paléolithique est des plus impressionnants, avec des espèces toutes aussi diverses que fascinantes. Ils sont tellement nombreux que le nombre de possibilité scénaristique est énorme. Au cinéma, le Vélociraptor sera ainsi une créature agile et rapide, attaquant plutôt en groupe et dont les caractéristiques ne sont pas sans rappeler celle des Aliens de Ridley Scott. Le Tyrannosaurus Rex s'imposera comme un monstre gigantesque, dont la bestialité et la capacité destructrice rappellera quelques fameuses créatures géantes japonaises (Godzilla, ce gros reptile, n'est-il d'ailleurs pas un dinosaure ?). Le Ptérodactyle sera le maître des airs où nul ne saura contester sa suprématie.
"La vallée de Gwangi" (1969), un excellent classique du film de dinosaures.
"Un million d'années avant J.C." (1966), un autre classique.
Le Tricératops fera parler sa force tel un incroyable Hulk, et sera capable de percer n'importe quelle muraille ou faire valdinguer tout objet encombrant. Dès lors, pourquoi parler de Trolls, Ogres, Elfes, Harpies, Gorgones, Minotaures... qui n'ont jamais existé, alors que ces créatures préhistoriques ont elles bel et bien foulé la Terre et offrent des qualités qui n'ont pas grand chose à envier aux bestiaire classique du fantastique ou de l'heroic-fantasy ?
L'opportuniste "Cowboys Vs. Dinosaurs" (2015), sorti dans le sillage de "Cowboys & envahisseurs" (2011).
"Aztec Rex" alias "Tyrannosaurus Azteca" (2007), du vétéran Brian Trenchard-Smith.
S'il est donc naturel que le cinéma se soit intéressé aux dinosaures, le traitement qui leur a été réservé est néanmoins rarement optimal. Comme pour les super héros, le plus gros problème a longtemps été d'arriver à ressusciter ces créatures de manière crédible, à la fois au niveau de l'apparence et de l'animation. Plusieurs techniques ont été testées et éprouvées au fil du temps, aussi bien sur de grosses productions que sur des zèderies fauchées.
"La planète des dinosaures" (1978).
- Les dinos en pâte à modeler animés image par image, en stop-motion, technique qui peut s'avérer très réussie avec des auteurs talentueux comme Willis O'Brien ou Ray Harryhausen. Dans le haut du panier, on peut citer "La planète des dinosaures" qui, tout nanar de série Z soit-il, possède des dinos extrêmement soignés, à l'animation (presque) fluide, qui reçurent malgré tout un lot de durs reproches. En revanche, quand le temps et/ou l'argent et/ou le talent manquent, on sombre vite dans le ridicule, avec des dinos informes aux mouvements si saccadés qu'on n'ose même plus appeler ça des mouvements, tels les créations d'Antonio Cervero pour "Dinosaur from the deep" de Norbert Moutier. L'animation image par image requiert une grande passion pour son métier, un vrai savoir-faire, et surtout une patience d'ange. Si cette technique est aujourd'hui dépassée, elle dégage néanmoins un charme fou.
"Dinosaur from the deep" (1993) de Norbert Moutier. Ce monsieur brun en chemise blanche rayée qu'on entraperçoit de dos l'espace de quelques images perdues au milieu d'une séquence d'animation de T-Rex, c'estAntonio Cervero, le responsable des effets spéciaux. Il faut les imaginer, Norbert Moutier et lui, filmant patiemment cette séquence en image par image, alors là je positionne mon dinosaure en pâte à modeler, hop j'enclenche la caméra, je modifie d'un poil la position de mon dino, je ré-enclenche la caméra... et puis soudain c'est l’embrouille, on oublie d'éteindre la caméra et on filme Antonio en train d'animer le T-Rex. Quand on travaille en artisan, ce le genre de bourde qui arrive, et le fait qu’elle figure dans le montage final ne fait qu’ajouter à la sympathie qu’on peut éprouver devant une telle œuvre…
Non ce n'est pas E.T, mais le tyrannosaure animé de la série télévisée "Land of the lost" (1974).
- L'animatronique et les créatures robotisées. Il peut s'agir aussi bien de petites marionettes en latex, contrôlées par des câbles ou par radiocommande, que de répliques grandeur nature mues par de gros moteurs hydrauliques ou des systèmes de rails. Cette technique peut donner des résultats très concluants, comme dans les films de Kevin Connor : rappelez-vous du ptérodactyle plus vrai que nature du "Continent Oublié". Cependant, par manque de budget, on peut aussi avoir des rendus plus statiques et moins crédibles ("Yor le chasseur du futur"). Une technique qui nécessite donc tout de même de s'y connaître un minimum en bricolage.
Le raptor de "Future War" (1997), qui a un peu la grosse tête.
- Le lézard agrandi par travelling mattes et autres effets d'optique, technique très simple : on prend un varan et un iguane, on les maquille en leur collant des fausses cornes et des crêtes dorsales, on les affame pendant des jours, on les place dans un décor miniature en carton-pâte et, afin qu'ils ne s'endorment pas à cause de la chaleur des projecteurs, on les soumet à des électrochocs pour pousser nos deux reptiles à s'entretuer devant la caméra ! Seul inconvénient : on risque d'avoir des problèmes avec la SPA. C'est pourquoi, à partir de 1940, toutes les bisseries ayant recours à cette technique, utilisent en fait des stock-shots du film "One million B.C" alias "Tumak fils de la jungle" (1940), film américain qui détient sans doute le record du nombre d'animaux massacrés, dont toutes les scènes de FX ont été utilisées et réutilisées sur des dizaines d'autres films durant les quatre décennies suivantes (ex : "Robot Monster").
L'équipe du MST3K se gausse devant un énième recyclage de cette séquence de "One million B.C".
Le pas très subtil "Dinosaur Valley Girls" (1995) de Don Glut contient lui aussi quelques véritables lézards maquillés en dinosaures.
- Le comédien dans un costume caoutchouteux, technique japonaise (Godzilla) mais pas uniquement (il y en avait déjà dans "One million B.C", encore lui). Peu coûteux, mais nécessite tout de même les services d'un acteur costaud et endurant. Ce type de costume est en effet très lourd, et sous la lumière des projecteurs l'acteur transpire beaucoup et respire mal. Le corps humain n'ayant pas la même morphologie que celui des dinosaures, le déguisement ne sera pas très réaliste et peut facilement virer au ridicule pour peu que le design soit particulièrement mal conçu.
Les cératosaures montés sur échasses (oui oui) de "L'île inconnue" (1948), un des rares films de ce genre tourné en décors naturels, ce qui fait que lorsque les dinos apparaissent devant un (vrai) arbre, celui-ci paraît gigantesque... ou plutôt ce sont les dinosaures qui paraissent petits.
Autre exemple de comédiens dans des costumes avec les délicats Quaratops (!), vus dans le gratiné et réjouissant "Centre Terre: 7e Continent" (1976) de Kevin Connor.
- La marionnette à main (ou chaussette), technique des plus rudimentaires : prenez un gant de cuisine, customisez-le avec des faux yeux et des fausses dents en papier, glissez votre main à l'intérieur, allumez votre caméra et faites "Grrraaoouu !", l'illusion sera parfaite.
Coucou les pitits gnenfants ! C'est moi, la chaussette dentée de "Terror of prehistoric bloody creatures from space" alias "Jurassic Trash" (1998).
- Pour les plus pressés, il y a plus rudimentaire encore : le jouet pour enfant en plastique secoué devant la caméra. Ne reste plus qu'à ajouter des rugissements piqués à un documentaire sur les lions et le public n'y verra que du feu.
Le T-rex d'un réalisme saisissant de "One million AC/DC" (1969).
- Les CGI enfin, incontestablement la technique d'effets spéciaux la plus laide. Aucun charme, très répandu à l'époque actuelle depuis que n'importe qui ou presque peut faire ses FX en images de synthèse avec son ordi. Il suffit que la bestiole soit bâclée, ne serait-ce qu'un chouia, pour nous entraîner aux confins de l'horreur et nous aveugler avec une bouillie de pixels absolument immonde (souvenirs pénibles des vélociraptors de "Raptor Island" qui ressemblent plus à des bâtons qu'à autre chose). Comme souvent, l'aspect le plus ardu reste l'animation. N'est pas magicien d'ILM qui veut.
Cette chose est sensée être un redoutable ptéranodon du film "Pterodactyles" (2005).
La bestiole de "Aztec Rex" alias "Tyrannosaurus Azteca" (2007)...
...et son animation caca-boudin.
Evidemment, plusieurs techniques peuvent être employées sur un même film, avec à la fois des effets "live" (animatronique, acteurs dans des costumes, animation image par image) et des CGI. C'est le cas aussi bien sur des blockbusters comme "Jurassic Park", que sur des productions discount comme "Dinosaur Island" (1994), réalisée par Fred Olen Ray et Jim Wynorski pour le compte de Roger Corman.
"Dinosaur Island" (1994), avec des bébêtes incrustées en post-prod...
...et d'autres "live" sur le plateau (ici sans les pattes), recyclées de "Carnosaur", autre production de Roger Corman.
De plus, qui dit nanar à dinosaures dit souvent scénar en or. Parfois, la simple trame scénaristique contribue à elle seule à faire d'un film un excellent nanar. C'est bien beau de vouloir croiser deux espèces qui n'ont pas vécu dans une même ère, encore faut il le justifier efficacement. Si Spielberg s'en tire pas trop mal avec son histoire de moustique fossilisé qui servirait à un clonage de femelle, d'autres s'en sont sortis de façon plus fantaisiste. Ainsi dans "Attack of the Super Monsters", les dinosaures se seraient cachés au centre de la Terre, où ils auraient tranquillement poursuivi évolution. Ils auraient ainsi appris à parler et à tirer des rayons lasers avec leurs yeux. Et c'est en 1982 qu'ils décidèrent qu'ils avaient suffisamment attendu, et qu'il était temps de reconquérir la Terre.
"Attack of the Super Monsters" (1982).
Dans "La Planète des Dinosaures", une navette humaine s'écrase sur une planète inconnue et, manque de chance, cette planète est peuplée des mêmes créatures qui ont régné sur Terre il y a de ça des millions d'années. "Dinosaur from the Deep" voit lui des scientifiques expédier sur une lointaine planète - peuplée de dinosaures, évidemment - les criminels que l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis épargne sur Terre. Dans "Le Dernier Dinosaure", une Cie pétrolière qui effectuait des recherches dans l'Arctique au moyen d'un sous marin-foreuse tombe sur une poche volcanique où, grâce à la chaleur, s'est maintenue une petite jungle peuplée de dinosaures. "Prehistoric" alias "Jurassic Commando" "(100 Million BC" en VO) envoie des Navy Seals en pleine préhistoire, d’où ils ramènent un bon gros T-Rex qui va dévaster Los Angeles. Dans "Carnosaur", bah les dinosaures... ils viennent d'un œuf de poule ! Oh, et puis après tout, pourquoi aller chercher midi à quatorze heures.
"Le Dernier Dinosaure" (1977), spécimen retrouvé sous l'Arctique (si si).
"Carnosaur" (1993), produit par Roger Corman, toujours dans les bons coups.
Bien qu'ils aient disparu depuis bien longtemps, sur nos écrans les dinosaures ont certainement encore de très beaux jours devant eux. En effet, la poursuite de la franchise Jurassic Park avec les sorties de Jurassic World (2015) et Jurassic World: Fallen Kingdom (2018) ont excité les opportunistes à la petite semaine, qui se sont mis à nous décliner du Jurassic à toutes les sauces : Jurassic Attack, Jurassic Expedition, Jurassic Prey, Jurassic Raptor, Jurassic City, Jurassic Games, Jurassic Thunder, Jurassic Predator, Jurassic Island, Jurassic Commando, Jurassic Dead, Jurassic Planet alias Jurassic Galaxy (et tant pis bien sûr si le terme "Jurassic" est impropre, vu que la plupart des dinosaures montrés dans ces films sont du Crétacé : T-Rex, tricératops, vélociraptors…) sans oublier les Triassic World, Terrordactyl et autres Killer Saurus ! Si l'évolution des techniques et de la technologie tend à donner de plus en plus de réalisme à ces créatures, on espère qu'il restera toujours des producteurs gentiment cupides adeptes des high concepts foireux, et des techniciens devant composer avec des budgets serrés pour nous offrir des bestioles sortant un minimum de l'ordinaire filmique.
"Dinosaur Experiment" (alias "Raptor Ranch" en VO), sorti en 2013.
Le cross-over improbable entre Jurassic Park et Hunger Games !
Evidemment, comme tout genre hyper-exploité, le film de dino - ou plutôt les creature movies dans leur ensemble - succombe de plus en plus à la mode vénéneuse du méta. Les high concepts deviennent de plus en plus ouvertement délirants, l'humour de plus en plus présent, bref on sent que le succès de Sharknado est passé par là et les dinos flirtent désormais volontiers avec la grosse parodie, à l'image de titres comme The VelociPastor (2018), et son histoire de prêtre qui se transforme en vélociraptor pour affronter des ninjas...